vendredi 22 février 2008

Quelle sagesse ?

Fond sonore : non, rien de rien
      Il suffit d'une pichenette pour détruire l'élégance ordonnée d'un chateau de carte. Un coup de vent, une porte qui claque, et en un instant s'effondre un édifice bâti dans la durée, aux équilibres instables, et dont la préservation s'impose.
            Il a suffit d'une lettre pour que "Liberté, Egalité, Fraternité" meure à nouveau hier. Il suffit de remplacer un "d" par un "r". Je m'explique.
      En France, les prisons sont insalubres, insuffisamment dotées en équipement et en budget. Il n'y a pas assez de places pour héberger les condamnés. Une bonne part de détenus nécessitant des soins psychiatriques sont emprisonnés avec les "droits communs". Tous les deux ans, l'Observatoire International des Prisons (une ONG française) publie son rapport sur l'état de l'appareil pénitentiaire français : plus le temps passe, plus c'est pourri.
            Des noms qui passent dans l'actualité, sans qu'on sache vraiment combien de gens y vivent, ce qui les a amenés là. S'ils vont sortir. Pour faire quoi.
            En tant que petit Françaoui de base, élevé dans la plus pure tradition catho modéré, j'ai grandi avec une sainte horreur de la prison et du Mal, avec la trouille de la police.
            Depuis, j'ai vieilli. Et j'ai compris que ma peur de la prison était fondée pour de mauvaises raisons. Mais fondée. Et celle de la police, pareillement.
      Parce que la prison est une machine à détruire, d'où on ressort dans le meilleur des cas totalement démoli, et dans le pire des cas totalement blasé sur le droit de la société à juger des crimes qui s'y commettent. Et parce que la police, un métier nécessaire mais dangereusement subversif, hésite toujours entre être l'abîme, et être le monstre.
            Le statut de député français permet d'effectuer une visite inopinée dans n'importe quel établissement pénitentiaire de son département. Ca arrive tellement souvent qu'à chaque fois ça passe au journal télé comme l'événement médiatique de l'année. Si, si, souvenez-vous, vous en avez déjà entendu parler, j'en suis sûr. Peut-être pas cette année, mais c'est sûr, y'a pas longtemps, enfin pas trop longtemps... A chaque visite en tout cas la même conclusion s'impose : pas assez de moyens, la prison est une voie de garage où on laisse à pourrir des gens dont il faut s'occuper vraiment si on veut espérer qu'ils s'amendent et se corrigent. Qui peut alors s'étonner que la récidive s'installe ?
      Alors, notre sémillante équipe gouvernementale suit à la lettre le manuel du parfait petit réactionnaire et surfe sur la vague d'indignation médiatique d'un peuple français globalement sous-informé. Elle lui emboîte le pas en disant "la récidive, c'est à cause que c'est tous des enculés à vie, c'est de l'engeance de merde dont on ne fera jamais rien de bon, et il faut que ça cesse, cette racaille !", et schboum une loi sur les peines plancher. Comme si la peur de la guillotine avait jamais empêché le moindre meurtre. Comme si les cambrioleurs réfléchissaient 2 secondes au risque de retourner en cabane avant de péter tes huisseries au pied de biche.
            L'actualité se déroule, et les faits divers sordides continuent. Un pédophile fraîchement libéré de taule replonge aussitôt dans ses obscénités barbares, parce qu'il n'a jamais été suivi correctement au niveau psy et qu'il n'a simplement pas été traité comme un pervers sexuel mais comme un prisonnier ordinaire, et schboum, on emboîte le pas à la douleur du père étalée en place publique en disant "les pédophiles, c'est des déchets, y'a pas moyen de les changer, alors prison à vie" et paf, une loi sur la rétention de sûreté. Et toujours pas un centime de plus pour que les prisons cessent d'être des camps d'entraînement pour délinquants juniors et deviennent des usines à corriger le tir et à faire marcher droit ceux qui ont marché en dehors des clous.
      Et là, j'attire votre attention sur deux points. D'abord, la garantie de la Liberté dans notre beau pays français de France, c'est qu'on construit le Droit sur plusieurs principes fondamentaux dont celui-ci : il vaut mieux un coupable en liberté qu'un innocent en prison. Et ensuite, un autre principe fondamental : quand tu es condamné à une peine, c'est par une loi ayant cours au moment où tu es jugé. Tu purges ta peine, tu sors, tu te tiens à carreau, tout le monde est content.
            Voyons maintenant l'astuce de la loi Dati, ovni médiatique pourfendeuse des tribunaux et grande prêtresse de l'accumulation des dossiers sur les bureaux de magistrats déjà noyés sous la paperasse, à qui on va en rajouter une couche tout en supprimant des postes. C'est la loi sur la rétention de sûreté. Notez le "r". Après de longs échanges entre Assemblée Nationale et Sénat, les sénateurs ont fini par abdiquer pour ne pas déplaire au parti et dire "ok on prend", sachant pertinemment que le conseil constitutionnel serait saisi immédiatement par ce qu'il reste d'opposition dans ce pays. C'est comme ça qu'un sénateur baisse son froc avec dignité (mais en oubliant totalement de faire son métier de protecteur des citoyens, de leurs libertés et de leurs droits).
            Car après tout, les magistrats disent tous que cette loi est une pourriture qui chie sur les principes fondamentaux du droit : taule à vie qu'on t'inflige post-jugement et post-incarcération, rétroactivité, ça pue la loi émotionnelle pondue sous le choc, la phrase à la con lâchée de travers et qui, en y regardant à deux fois, n'a pas d'autre utilité que de signaler aux législateurs qu'ils sont loin de se contrôler aussi bien qu'ils s'en vantent.
      Et puis les ONG disent aussi qu'elle est à chier, cette loi. Et puis d'une façon générale, quelques grandes figures du droit et du respect des droits de l'homme disent aussi qu'elle est à chier (je pense à Robert Badinter, dont je ne partage pas toutes les idées, mais que je respecte profondément). Et une partie des députés de la majorité la jugent dangereuse (à mots couverts, des fois que le schtroumpf grognon qui leur sert de patron l'apprendrait).
            Bref, un consensus global s'est formé, établissant clairement que plomber notre pays à coups de lois émo juste pour flatter quelques semaines la "bonne conscience" populaire et gagner ses faveurs aux prochaines élections, c'est bas, nul, sale et dégradant, et ça n'a rien à faire dans le pays-qui-fut-celui-des-droits-de-l'homme (pour les droits de la femme, patientez encore quelques siècles, mesdames - vous avez l'habitude).
            Le conseil constitutionnel, dit "les Sages", est saisi, étudie le truc. Et tout le monde retient son souffle, sachant que la majeure partie dudit conseil a été renouvelée par Chirac et est constituée de vieux briscards de droite, des types pas franchement versés dans l'humanitaire et qui connaissent surtout de la prison toutes les ficelles pour éviter d'y aller. Et les Sages disent : on amende un peu, mais ça passe.
            Ouh putain les power-nazes !
      Prétexte invoqué pour cet agrément nauséabond : on n'a pas le droit de rajouter une peine à une peine, mais rétention, c'est pas détention. Donc c'est une "mesure administrative" (je cite avec des pincettes pour ne pas me salir les doigts), et pas une peine.
            Au niveau de la réalité physique, c'est tout pareil, hein, soyons clairs : t'as pas le droit de sortir, t'es enfermé, t'as pas les clés, les visites sont restreintes, tu es donc en taule, hein, c'est incontestable, c'est un fait, tu-es-en-taule-euh.
            Mais c'est pas une peine, puisque c'est de la rétention.
            Et je ne peux m'empêcher à ce point, en écrasant une larme au souvenir de ce qu'était la Liberté avant que ne débarquent Sarko et ses gros sabots, de me souvenir à nouveau de Pierre Desproges, de sa riche et profonde parole, de son intelligence magnifique dévoilant sans ambage la nature réelle des cuistres en habit du dimanche qui président à nos destinées du haut de leur superbe qui sent le renfermé.
      Evoquant les dérives sémantiques et pudibondes du pays des Lumières qui cède au puritanisme en appelant un aveugle un non-voyant, il disait : "réjouissons-nous : nous vivons dans une société qui a résolu l'ensemble de ses problèmes en appelant un chat un chien".
            Constatant que ce principe s'étend aujourd'hui au problème un peu plus grave de la privation de liberté d'un individu au nom de la loi, je demande donc solennellement l'autorisation au monde (et à mes gentils lecteurs patients de ce blog bizarroïde), l'autorisation d'appeler les Sages les Cons. Comme dans "conseil constitutionnel".
            J'espère que le syndicat de la magistrature va porter cette décision devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme, et que cette abomination démocratique sera jetée au trou avec la plus ferme vigueur par des esprits plus sensés et moins girouettes que les chihuahuas hystériques qui pissent dans le sens du vent public et qu'on trouve aujourd'hui aux commandes du Ministère de la Justice, de l'Assemblée Nationale, du Sénat et du Conseil Constitutionnel.
      Sic transit gloria mundi. Encore du Desproges. Cette phrase-là, j'ai pas fini de la répéter, au train où l'on aménage en lieu et place de notre vieille république qui perd de l'huile un vaste aérodrome flambant neuf, droit et carré comme les cheveux d'un électeur FN, où le premier dictateur venu n'aura qu'à se poser, planter son drapeau et passer un léger coup de peinture pour accentuer un petit peu la couleur facho sur l'appareil d'Etat pour que soudain l'on réalise (mais un peu tard) qu'un liberticide n'est jamais, jamais, JAMAIS sans conséquence.
-G4rF-

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