jeudi 14 février 2008

Concept éducatif

Fond sonore : nada
       Réaction à chaud : quel connard. N'importe quoi pour faire parler de lui et faire oublier sa chute dans les sondages.
                 Après avoir chié longuement sur la loi de 1905 et la séparation chèrement acquise entre les bondieuseries et les affaires terrestres, après avoir imposé à des gosses que cela dépasse totalement la lecture d'une lettre de résistant (c'est aussi crétin à mon sens que de commémorer les victoires plutôt que les armistices), dernière trouvaille : faire porter à des gosses de primaire le poids de la vie d'un gosse buté par les nazis.
       Outre l'aspect outrancier de la démarche.
                 Outre quelques joyeusetés techniques à venir (quels enfants sont éligibles au devoir de mémoire ? et les enfants non juifs qui y sont restés aussi, embarqués avec la complicité fréquente de l'appareil d'état très "travail, famille, patrie" de ces élus de l'époque pré-soixante huitarde, tout propres sur eux et respectables comme un Sarko fraîchement élu ?).
                 Outre le peu d'intérêt à rajouter encore une couche sur une période de l'histoire européenne qu'il me paraît plus utile de connaître dans sa globalité (pourquoi le sentiment d'humiliation, pourquoi le nationalisme, pourquoi les allemands ont élu Hitler, pourquoi la collaboration, pourquoi Auschwitz-Birkenaü, pourquoi l'épuration ethnique, pourquoi tout n'est pas aussi simple qu'un Sarko "blanc ou noir" voudrait nous le faire gober).
                 Outre le fait que le sujet s'étale déjà dans les programmes de collège et revient régulièrement à nous par le cinéma et la télévision (un petit jeu amusant : comptez combien de films sont produits chaque année abordant l'horreur nazie de près ou de loin).
       Je me demande bien pourquoi se limiter aux seuls enfants juifs victimes de la barbarie consensuelle. La shoah. Ce fut un génocide. Un nettoyage "ethnique" total. Comme au Rwanda. Une opération systématique de destruction d'une communauté. Comme en Arménie. L'exploitation malsaine d'un nationalisme morbide où s'est précipité un peuple entier convaincu de sa nullité et de son absence d'avenir. Comme chez Mao.
                Ils sont des centaines de millions de par le monde, à nécessiter qu'on s'en souvienne. Ou pour être plus précis, à demander simplement qu'on arrête de massacrer à tour de bras parce que le paradis des martyrs est blindé de monde comme la ligne 13 à 8h45.

      Un peu de franchise et d'objectivité. Si nous, Européens, sommes marqués au rouge par la Shoah, c'est parce que c'est un des seuls génocides qui ait été reconnu et qui porte un nom, parce que dans tous les pays où se sont déroulés les faits de cette guerre, les marques en sont encore visibles, parce que nous avons tous intégré dans nos esprits l'image néfaste de la svastika inversée, comme l'emblême d'un mal suprême (un peu d'érudition : la croix gammée est un symbole religieux hindou, et c'est parce qu'il était graphiquement percutant que le régime nazi l'a adopté). Parce qu'il porte la marque d'une infamie absolue, et d'une complicité tacite, et d'une négation systématique du pire, qui persiste encore de nos jours (cf le "détail" de Le Pen).
                Et les victimes du goulag russe sont plus récentes, et plus nombreuses. Mais plus lointaines de nous. Elles sont pas mortes à notre porte, c'est pas mon arrière-grand-père qui a écrit la dénonciation. Les "nettoyés" au kärcher et à la machette de cette belle époque en Afrique sont plus frais. Les victimes du Front Islamique du Salut sont de l'autre côté de la mer, pas de chez nous. L'épuration qui a frappé les Kosovars, elle est plus proche, mais c'est quand même pas à notre frontière.
                C'est triste à dire : ces morts là sont tout aussi ignobles, et méritent autant qu'on s'en souvienne. Car c'est toujours l'appareil d'Etat, la machinerie bureaucratique qui se détourne de ses fonctions pour se convertir en broyeur à humains. L'industrialisation de l'immonde. Partout. Hier. Aujourd'hui. Demain.
       La leçon à tirer, c'est quoi ? Simplement qu'il faut faire face à l'histoire, et avec d'autant plus d'urgence qu'elle se conjugue encore au présent. Et à ce titre, le geste de Steven Spielberg, réalisateur de "La liste de Schindler", et jusqu'à très récemment membre étranger de la commission chargée de la cérémonie d'ouverture et de fermeture des JO chinois, lui, il a un sens.
       Parce qu'au lieu d'exhumer des morts, qui ont tellement souffert déjà qu'ils n'ont plus qu'un seul besoin : qu'on leur foute la paix, il pointe crûment sous la lumière quelque chose que personne ne veut admettre. Que les grandes puissances qui se partagent le monde, elles, n'en ont rien à battre de l'histoire tant que ça rapporte, et que la valeur d'une vie humaine est extrêmement dépendante de la présence de caméras et de pétrole sur place. Le Darfour, c'est aujourd'hui, maintenant. Et les mêmes qui s'extasient sur l'idée formidable d'apprendre dès le plus jeune âge aux petits français qu'il faut être gentil parce que sinon, des gens souffrent et meurent, n'en ont strictement rien à branler et ne se remuent pas le petit doigt pour que cesse cette énième shoah qui n'a pour seul défaut que d'être hors de notre vue.
                 La complicité des pays du G8, marchands d'armes et vendeurs de protection militaire contre du pétrole, des diamants, de l'or, de l'uranium, ça ne date pas d'hier et ça a encore de beaux jours devant soi. La responsabilité des fonctionnaires du régime allemand de la seconde guerre mondiale a été établie (cf Nuremberg). Y aura-t-il un tribunal pour établir la responsabilité des pays colonisateurs dans toutes les horreurs qu'ils ont imposé ? Peut-on imaginer que les américains de 10 ans soient obligés d'apprendre par coeur le nom et la tribu d'un cherokee ou d'un cheyenne mort pendant la conquête de l'Amérique, tandis qu'à Guantanamo croupissent des prisonniers jamais jugés, torturés, arrachés à leur pays fréquemment sur des dénonciations calomnieuses car rémunérées, dans un conflit où l'intérêt de la population est la dernière préoccupation des troupes de l'oncle Sam ?

                 Et quand en France, on fait subir des interrogatoires musclés à des journaleux parce qu'ils ont honteusement diffusé des preuves d'un secret de polichinelle (que les services secrets français étaient au courant des attentats à venir le 11 Septembre 2001), on participe à la négation de la réalité, à l'entreprise d'oubli de nos responsabilités, à la perversion de cette mémoire.
                 Sarko élu à la tête du pays, donc Sarko en tête. Qui vend des centrales nucléaires à la Lybie, et vient nous servir sa morale de tabloïd, en espérant quoi ? Qu'en mettant un nom sur une victime, on lui redonne sa dignité ? Pourquoi pas. Mais alors, faisons-le pour toutes les victimes de la connerie humaine. Sinon, ce n'est encore que de la poudre aux yeux, une façon de se dire "hop j'en connais un, j'ai fait mon devoir de mémoire, je peux passer à autre chose" pendant qu'on continue à s'entretuer dans le tiers-monde avec des flingues et des avions et des chars et des bateaux made in France.
       Ces procédés sont à gerber. Tout comme l'inaction persistente de l'ONU face aux massacres du monde. Tout comme l'abandon de l'opposition légitime irakienne face à Saddam lors de la fin de la première guerre du Golfe. Tout comme les années à fermer les yeux sur Sarajevo, à moins de 2 heures d'avion de Paris. Tout comme l'absence du Tibet sur la carte du monde dans Google Maps.
       Voilà ce qui, à mon sens, serait à apprendre : la conscience pleine et rouge sang de ce que c'est, être comme toi et moi et nous tous l'héritier de siècles de massacres oubliés. Et tant qu'on y est à parler de l'art et la manière d'apprendre à aimer son prochain quand il ne vous ressemble pas et ne parle pas votre langue, j'ai un procédé encore plus dégueulasse à proposer, que je vous invite à soutenir auprès de notre super président amateur de mannequin qui chante et de polémiques morbides : pourquoi ne pas charger d'un devoir de mémoire chaque gamin de CM2 français avec un gamin renvoyé dans "son" pays par Hortefeux dans les charters de l'amitié française, un pays qu'il ne connaît pas et où il n'a jamais vécu ?
                 Avantage sur le concept de Sarko : ils auront peut-être une chance de correspondre et d'échanger de vraies visions personnelles et réelles du vrai monde, de vraies expériences authentiques de déporté des temps modernes, du moins tant que les bannis de France sont encore vivants et ne crèvent pas faute de soin, de bouffe, de famille à qui se raccrocher. Nos gentilles têtes blondes d'un côté, les têtes moins blondes dont la France de Sarko ne veut pas de l'autre.
       Je trouve ce concept éducatif vendeur. Peut-être qu'il intéressera Guaino... mais bon, que l'on me pardonne, ce n'est qu'une réaction à chaud.
-G4rF-

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