vendredi 31 août 2018

Poème express [51/365] - L'imposteur

L'imposteur
Celui que l'on devient en approchant la scène
Celui qui ne sait pas vraiment ce qu'il doit dire
Celui qui s'interroge, que le doute malmène
Celui qui se demande s'il pourra réussir

Celle qui repasse dans sa tête tous les mots
Celle que le temps mort, le silence terrifie
Celle qui n'est pas sûre d'être celle qu'il faut
Celle dont l'échec est le plus grand ennemi

Lui et elle, c'est nous devant les vraies épreuves
Quand le confort vacille dans la mise en question
De nos talents réels, nos qualifications
Dont face aux inconnus il nous faut faire la preuve.

--G4rF--

Poème express [50/365] - Des boîtes

Des boîtes
Il y a dans ma grande boîte
Des monceaux de petites boîtes
Que je mets dans l'autre boîte
Garée devant ma grande boîte
Et je conduis l'autre boîte
Pour aller jeter ces boîtes
Dans une très très grande boîte
Au cimetière des p'tites boîtes

--G4rF--

Poème express [49/365] - Au fond

Au fond
Je remonte le fil du temps que j'ai usé
À coincer mon regard sur un écran rusé
D'où rayonnent des lignes, des chemins  de pensée
Qui m'entraînent, m'éloignent sans aboutir jamais.

J'enroule ce nylon aimant tant s'emmêler
Reprenant chaque fourche et brin effiloché
En cherchant dans les noeuds, les fibres imbriquées
Un indice, une trace de celui que j'étais.

Alors que l'eau se calme car tout a émergé,
Je garde les mains vides, fatiguées et blessées.
Devant moi, au fond, est ce qu'en vain je cherchais.
Trop de chant de sirènes m'ont mené à sombrer.

--G4rF--

jeudi 30 août 2018

Les vacances de M. Hulot

Le Nico on le préfère vraiment quand il n'a pas de boulot.
(merci à Jacques Tati pour le titre)


Hé bin j'avoue, j'y croyais pas. Et pourtant c'est bien vrai : un membre du gouvernement Macron a tenu une promesse de campagne et a fait preuve, du même coup, de probité comme d'intégrité intellectuelle.


J'avoue que le cas Hulot me laisse partagé.
Bien que ne le vouant pas aux gémonies avec la même intransigeance que les féroces plumitifs de La Décroissance --lesquels ont des arguments qui, tout acerbe qu'ils soient, font mouche--, j'ai un problème avec Nicolas Hulot depuis qu'il a accepté la main tendue, non par le premier ministre qui est supposé être celui qui compose le gouvernement, mais par le président, lequel est supposé nommer le premier ministre et le laisser ensuite faire son shopping.

J'ai un problème parce que le personnage est traversé d'ambivalence depuis le début.
Plongé dans le sport mécanique à ses débuts (donc pas très éco-friendly),  il s'est révélé au public comme l'animateur remarquable d'une émission de télévision très bien ficelée axée sur la découverte par le grand public français de trésors naturels (donc très éco-friendly) qui passait sur la chaîne de la famille Bouygues (donc pas très éco friendly) avec un gros logo "Rhone-Poulenc" incrusté partout (donc pas très éco friendly), mais il a aussi fait savoir depuis longtemps qu'il jugeait nécessaire une action d'ampleur au niveau étatique pour faire face à l'urgence du réchauffement de la planète (donc très éco friendly) tout en laissant dans le même temps la marque Ushuaïa user de son aura verte pour orner des produits cosmétiques vendus fort cher et gagner plein de sousous sans franchement protéger la planète (donc pas très éco friendly).

On pourrait aller très loin dans le jeu de la balance pour ou contre. Et ce serait intéressant.
Toutefois on aboutirait probablement à une confirmation factuelle d'une opinion pifométrique qu'on est d'ores et déjà capable de se faire avec ce qui vient d'être dit.
En l'occurrence :  Nicolas Hulot apparaît être un exemple vivant démontrant qu'il existe effectivement chez des personnages publics français une évolution des consciences concernant la place primordiale à accorder à l'environnement dans toutes les décisions publiques, mais qu'il reste encore à lui comme à beaucoup d'autres (moi compris) pas mal de chemin à faire pour agir soi-même en adéquation complète avec ce principe d'action générale.

Beaucoup de gens s'inquiètent de ce qu'il va arriver maintenant que le ministre de l'écologie a jeté l'éponge, comme auraient dû le faire, selon moi, ses prédécesseurs dans leur totalité, tant eux aussi furent en butte à l'impossibilité effective d'agir plus qu'en façade au service de la cause environnementale, étant englués dans des gouvernements axés prioritairement sur la triade croissance-compétitivité-libéralisme qui nous sauvera tous.
Moi pas, je ne m'en inquiète pas. Et si vous vous en inquiétez, je pense que c'est parce qu'il vous échappe un point du problème méritant votre intérêt. Car Nicolas Hulot, dans son message de ciao bye bye, a mis très efficacement le doigt sur le nœud pas gordien du problème : dans les conditions prévalant actuellement pour l'exercice du pouvoir en France, un ministre de l'écologie n'a absolument aucun pouvoir.
Qui que soit son remplaçant, il ne fera donc rien de mieux.
On enfouira toujours à Bures, on gendarme-mobilisera toujours à NDDL, on repoussera toujours plus loin l'interdiction des saloperies BayerMonsantosiennes, on laissera crever les boîtes innovantes du secteur des énergies renouvelables, on jettera des compteurs qui marchent pour les remplacer par des Linky qui puent et flambent... bref, à l'Ouest, rien de nouveau.

La raison de cette fatalité éco-catastrophique est assez claire : c'est la chaîne politique de l'Europe, dont Macron est le maillon saillant en France, qui l'impose.
Exemple : BayerMonsanto, entreprise allemande, obtient que la représentation européenne de l'Allemagne rejette l'interdiction de cette saloperie roundupoïde, et tous les leaders jetables à brushing agitant la queue en rythme avec les décisions de la Commission Européenne où la domination écrasante de l'économie allemande n'est un secret pour personne répercutent à domicile le diktat, sans écouter la population ni la science ni la raison, qui clament tous haut et fort : LE GLYPHOSATE C'EST DE LA MERDE, ET REPANDRE VOLONTAIREMENT DE LA MERDE SUR LA BOUFFE DES GENS C'EST PAS MALIN ET TRES MALSAIN.

Nicolas Hulot n'a pas pu être l'homme providentiel qu'on nous avait vendu partout, et s'est ainsi retrouvé immobilisé parce que ne devant pas déplaire à la FNSEA, Avril-Sofiprotéol, BayerMonsanto et le lobby des "écologistes de terrain"*.
Plus simplement dit, la vitrine médiatique de l'écologie n'a rien pu faire pour l'écologie, alors même que nous sommes dans une ère où c'est la présence médiatique qui fait et défait les maîtres.
Corollaire : si Hulot n'a pas pu agir, alors qu'il était ministre d'état à la demande expresse du président qui a à sa botte le gouvernement et le parlement, c'est à dire tous les pouvoirs pour faire, alors personne d'autre ne le pourra.

Car le problème de l'écologie politique en France aujourd'hui, ce n'est pas Nicolas Hulot.
Le problème, c'est qu'il n'y a pas une once de sincérité dans le discours écologique de la République En Marche (je vous renvoie d'ailleurs à l'interview hallucinante de Macron par le responsable français du WWF pendant la campagne des présidentielles).
Parce que le leader des marcheurs se fout de l'environnement.
Parce que l'environnement, c'est de là qu'on tire la richesse, et donc si on commence à remettre dedans pour le sauver le fric qu'on en retire en l'exploitant, bah on gagne plus rien, voyez ?
Parce qu'il ne faut pas attendre de cette pompeuse baderne, exigeant de voir votre cravate avant de vous considérer comme sérieux, qu'elle se mette d'un coup à se soucier de ce qui se passe chez les orangs-outangs, et de ce que ça peut bien signifier pour nous tous de les laisser mourir pour planter des palmiers à huile pour avoir du gras pas cher parce qu'on paie pas l'empreinte carbone à son vrai prix.

Et il en va de même pour tous les autres pays dits développés dont les chefs d'état, et parfois aussi la population, se donnent des airs conscientisés mais ne s'intéressent à la verdure que pour y agiter un putter.

Une civilisation effectivement consciente du péril environnemental pesant sur son destin et qui choisit malgré tout de laisser la conduite des affaires à des représentants qui se torchent avec l'écologie n'en a plus pour très longtemps.

A nous de choisir, dès lors : on change la civilisation, ou on crève avec elle ?

Je vous laisse réfléchir là-dessus.
--G4rF--

*paraît que les chasseurs veulent qu'on les appelle comme ça, maintenant, est-ce un clin d'oeil à 1984 ?

mercredi 29 août 2018

Poème express [48/365] - L'attendre

L'attendre
Je pourrais m'abuser, oui, je pourrais prétendre
Que mes pensées sont claires et sans aucun méandre
Qu'il n'y a aucun trouble, nul lieu de s'étendre
Sur celle-là pour qui je sens mon coeur se fendre.

Quel confort ce serait que de nier s'éprendre
Cependant que, vraiment, je m'y suis laissé prendre
Tant sous la carapace dressée pour me défendre
Son regard met à nu un recoin d'âme tendre.

Lors, je reste muet, pour éviter l'esclandre
En faisant de mon mieux pour ne pas me répandre
Et refroidir mon sang qui bouillonne à attendre
L'intime plaisir de la revoir et l'entendre.

--G4rF--

dimanche 26 août 2018

Poème express [47/365] - Des abusés

Des abusés
"Prends ce que tu peux
Couvre tes arrières
C'est chacun sa gueule
Ne compte sur personne

Seulement sur toi-même
Plante-les le premier
C'est pas tes amis
Prends l'fric et tire-toi

Serre les dents et fonce
Subis sans broncher
Ne fais pas de vague
Te fais pas r'marquer

Garde profil bas
Pense à ta famille
Ne te retourne pas
Vise le résultat

Encaisse et dégage
C'est jamais qu'un job
Ça change pour changer
Mais ça foire pareil"

Sonne à mes oreilles
Le choeur des clameurs
Du labeur sans cœur
Des désabusés
--G4rF--

Poème express [46/365] - Life lag

Life lag
À vivre si longtemps en heures déplacées
Hors du circuit comme tous ceux qu'on met de côté
Je reviens avec un malus supplémentaire
Subissant de plein fouet ce décalage horaire

C'est tout mon quotidien qui change de fuseau
Tout un rythme de vie à remettre à zéro
Sortir du garage et revenir sur les rails
Et retrouver sans joie ce monde du travail

Qui casse, broie, détruit tant de proches, tant de gens
Pourtant tous instruits, qualifiés et compétents,
Négociant la sueur de leur front à la baisse
Et, les rides venues, usant de leur vieillesse

Pour les mettre dehors sans façon ni merci
Rejoignant les précaires en cohorte infinie.
Ce monde n'est pas celui que l'on nous promettait
Terminés, la carrière, la fierté, le respect

Les maîtres du labeur sont les seuls responsables
De la mise en péril du présent des capables
Comprenez donc que ce décalage de vie
Auquel je suis contraint ne me fasse pas envie.
--G4rF--

samedi 25 août 2018

Mais au fait, c'est quoi un poème express ?

...me demande-t-on dans l'oreillette.

Puisqu'il semble que je sois à l'origine de l'idée, ou au moins que j'ai une forme de primauté dans l'usage régulier de cette expression et de la forme d'écriture qu'elle recouvre, peut-être est-il effectivement pertinent d'expliquer ce que j'entends exactement par là.

Définition :
Une poésie express est un texte :
  • écrit d'une traite, c'est-à-dire sans s'interrompre pour contribuer entre temps à une quelconque autre œuvre de l'esprit. Il est donc permis de poser le crayon au milieu de l'écriture d'un poème express pour aller aux toilettes ou ouvrir la porte au livreur ou au plombier, mais en dehors de ça, la continuité du processus d'écriture est nécessaire pour mériter le titre d'express. Si je commence une poésie, que je m'arrête pour finir ma déclaration d'impôt, et que je reviens ensuite à mon texte pour le finir, ce n'est plus une poésie express ;
  • original, mais pas nécessairement sans référence ni clin d'œil à une autre œuvre ;
  • respectant autant que possible la forme poétique (métrique, scansion) mais des fois non. Si l'auteur pense sincèrement que son texte est poétique et a produit un effort significatif en ce sens lors de l'écriture, alors c'est suffisant pour mériter le titre de poème ;
  • laissé en l'état après avoir été écrit. Seules des rectifications de forme superficielles peuvent être apportées, comme rectifier une faute d'accord ou d'orthographe, modifier une ponctuation insignifiante, etc.
Exceptionnellement, un poème express peut être illustré, notamment si l'illustration est à l'origine de l'écriture du texte et permet d'en simplifier l'approche et la compréhension. Toutefois, ceci n'est en rien obligatoire. 
L'objet d'une poésie express est :
  • en premier lieu, de stimuler l'aptitude de l'auteur à concevoir, produire et achever des œuvres finies et satisfaisant a minima les règles ci-dessus tout en présentant un intérêt littéraire, créatif et narratif, si faible soit-il. C'est une séance d'entraînement du "muscle d'écriture" et de facilitation à adopter la disposition d'esprit présidant à l'acte d'écriture ;
  • en second lieu, de produire un texte présentant un intérêt particulier ou une qualité remarquable. Il s'agit d'un objectif secondaire qu'il est souhaitable d'atteindre mais qui reste facultatif et ne doit pas contraindre l'auteur à se restreindre d'écrire ou placer trop haut la barre de ses exigences.
Voilà, je pense que ça fait le tour de la question.

Vous trouverez sur ce blog un bon paquet de poèmes express, et si vous avez envie d'en produire à votre sauce, parce que vous voulez devenir bien musclé de la créativité littéraire et que vous avez la conviction que ce type d'exercice peut vous y aider, bah... y'a plus qu'à.

Allez, au boulot feignasse !
Ca me va bien, de dire ça, tiens... 😃

--G4rF--

Poème express [45/365] - Sainte bagnole

Sainte bagnole
A l'infini s'étalent les mailles d'un filet.
Tenant la terre serrée à la gorge, ce rets
S'en va oblitérant la verdure et les pierres
Sous un ruban bleu-gris qui seulement tolère

Le va-et-vient des machines aux moteurs lancés
Vers le prochain nœud du réseau embolisé.
Pour l'heure elles s'accumulent, crachant dans l'atmosphère
Des vapeurs grises de mécanique en colère

Laissant là, sur les murs, imprégnée dans la suie,
La phéromone acide de millions de fourmis
Parcourant le filet, avec leurs cavaliers,
Dévorant l'asphalte pour plus vite arriver

Au point B où aucun d'entre eux ne restera
Puisque le soir venu, ils reviennent au point A.
Et ce ballet curieux, qui n'a même pas cent ans
Chaque soir s'arrête et chaque matin reprend.

Et nul n'imagine ce que ça pourrait être
De reprendre le rythme de vie des ancêtres
Dont les montures parfois leur refusaient d'aller
En sixième vitesse du point A au point B.

Mais un jour prochain les machines n'auront plus
De quoi faire fumer injecteur et carbu.
S'amoncelant en piles inutiles et informes
Elles mourront bêtement, immobiles et énormes.

Tranquillement le filet sera dévoré
Par les racines, l'herbe, les fleurs ou les navets
Et si nos successeurs retrouvent la raison
Qu'avec tant de panache, nous nous efforçons

D'oublier, debout sur nos accélérateurs
Vers la grande panne sèche dont sonne bientôt l'heure,
Ils iront à pied, à cheval ou en vélo
Et pour les grands trajets, redeviendront sociaux

Et partageront leurs transports en commun
Pour aller partout sans plus dépenser rien
En vignette, assurance, péage et carburant
Et du voyage enfin, ils reprendront le temps.

--G4rF--

Poème express [44/365] - Blanc

Blanc
Le blanc sur un fond blanc
S'étirant pesamment
Confinant au néant
Courant contaminant
Jusqu'au plus bref instant
Jusqu'au plus beau moment
Figeant éternellement
Derrière lui ne laissant
Que l'éther transparent
Le souvenir d'un temps
Lentement se diluant
Et puis se dispersant
Et puis disparaissant
En blanc sur un fond blanc.
--G4rF--

vendredi 24 août 2018

La pensée du jour

...tirée d'un tweet d'un dénommé Adam Kotsko datant de novembre 2013.

Nous demandons à des jeunes de 18 ans de prendre des décisions cruciales sur leur avenir professionnel et financier, alors qu'un mois avant ils devaient encore lever le doigt pour aller aux toilettes.
Je vous propose de réfléchir là-dessus un petit moment : la solution du problème des jeunes en sortira peut-être...

--G4rF--

jeudi 23 août 2018

Poème express [43/265] - Virages

Virages
Sorti d'un cul de sac où je m'étais perdu
Cherchant un point d'étape, un nouveau début
J'ai pris la longue route de contournement
Pour remédier enfin à mon essoufflement

Car je n'arrive pas à me faire au discours
ni aux concessions dues aux chemins de long cours
A croire que l'existence qui est la mienne
Aboutit rarement à chose qui convienne

Suis-je trop exigeant ? Toujours insatisfait ?
Ou dépourvu de voie où s'épanouirait
Un genre de plénitude, ou de contentement,
Cette route assez droite où lâcher le volant.

Aujourd'hui touchant le fond d'une énième impasse
Je fais un demi-tour, et remonte ma trace
Vers un nouveau virage, dont j'espère, ma foi,
Qu'il sera le dernier de ce long désarroi.

--G4rF--

Poème express [42/365] - L'arbre

L'arbre
Il s'en fout, l'arbre.
Il s'en fout, des pouvoirs, il s'en fout, des misères.

Il en a vu passer, des petits et des grands,
Des émerveillés, des blasés et des passants.
Il en a bien bouffé, des vents et des orages,
De canicule en gel, il subit les outrages.

Et il s'en fout, l'arbre.
Il s'en fout, des pouvoirs, il s'en fout, des misères.

Il a la vie précaire depuis qu'il est rameau.
Maladies, parasites, champignons, animaux,
Il est cloué sur place, sans épaule à hausser
Sans bouche pour se plaindre, il ne peut qu'encaisser.

Mais il s'en fout, l'arbre.
Il s'en fout des pouvoirs, il s'en fout, des misères.

Il n'est pas éternel, car déjà bien des fois,
Marqué d'un opinel ou des balles des soldats
Il a subi le fer des blessures humaines
Laissant des cicatrices jusqu'au duramen.

Mais il s'en fout l'arbre.
Il s'en fout, des pouvoirs, il s'en fout, des misères.

Il attend.
--G4rF--

mercredi 22 août 2018

Poème express [41/365] - Système (2)

Préambule : le (2) qui suit le titre est là pour signaler qu'un précédent poème, écrit fin septembre 2010, portait déjà ce titre. Toute similarité dans le thème et les idées serait donc totalement préméditée.

Système (2)
Un système a produit l'appareil qui trône
Sur ma table de nuit et m'éveille au matin
Un système a permis qu'y bavassent des clones
Qui chaque jour lèchent les pompes du souverain

Un système a taillé dans un grand tronc les lattes
Du plancher où je pose un pied mal affermi
Un système a converti en tissu la ouate
Que je retrouve dans chacun de mes habits

L'eau de la douche ? Système pour la réchauffer,
Et pour la faire venir, et pour l'évacuer.
Le thé dans ma tasse ? Un système l'a récolté,
Et puis l'a fait brunir, et l'a fait importer.

Du liquide vaisselle à l'éponge, au savon,
L'inox des fourchettes, le crochet du torchon,
Mon confort quotidien est manufacturé
Par tant de systèmes que je ne sais les compter.

Omniprésents, on les pense inaltérables
Grandissant en leur sein, saurions-nous nous passer
De ces systèmes qui nous sont incontournables
Tant nos vies exigent de les voir fonctionner ?

Et si nous tenons tant à la suavité
De nos vies d'opulence bâties sur des objets,
Quand les systèmes centraux de nos états chancèlent
Par la malverserie des tireurs de ficelle

Ne sachant faire œuvre de prodigalité
Qu'au profit du trésor des rois d'avidité
Rappelons-nous qu'au cœur du système est l'humain
Et dès que l'humain souffre, le système en déclin

S'affadit, s'affaiblit, va vers l'effondrement
En entraînant l'humain au fond de ses tourments.
Lors pour rattraper ces systèmes en péril
En sauvant nos semblables des ruses des goupils,

En évitant à ceux qui viendront après nous
D'hériter de systèmes ne marchant plus du tout
Délogeons du pouvoir les grains de sable vils
Reprenons les systèmes, nous, les gouttes d'huile.

--G4rF--

Poème express [40/365] - Les petits ruisseaux

Les petits ruisseaux
J'entends parler de tempête dans un verre d'eau
J'entends les petites phrases qui nous prennent de haut

Je vois les jours de colère raillés, moqués,
Je vois ceux dont le futur a été volé

J'écoute l'ardeur des bâtisseurs de barricade
J'écoute leur amertume qui coule et qui cascade

Je goûte le climat et son échauffement
Je goûte l'acidité des pleurs s'accumulant

Je sens les eaux qui montent à chaque nouveau jour
Je sens venir la vague qui balaiera la cour

J'ajouterai mon seau d'eau de fureur amère
À ces petits ruisseaux qui font les grandes rivières.

--G4rF--

mardi 21 août 2018

Poème express [39/365] - Lundi 20, 23h57

Lundi 20, 23h57
La chauve-souris
Rase les toits humides
Dans la nuit tiède

--G4rF--

Poème express [38/365] - Retard

Retard
Perché sur mon épaule depuis mes jeunes années
Je traîne à tout instant cet encombrant fardeau
Ce vautour intraitable et jamais rassasié
Dont l'appétit ne sait aller que crescendo

J'ai à faire ? Le voilà qui vient se présenter
Détaillant point par point chaque sujet en cours
Appelant ma présence, effort renouvelé
Pour boucler un chantier qui bloque mon parcours

Que j'achève une tâche ? Il s'amuse et ricane :
Tant d'autres en réserve viendront lui succéder
Laissées là, de côté, navires mis en panne
Quand ma flemm' de géant m'empêche de bosser

Dans cette lutte absurde je ne peux pas gagner
Tout juste le tenir en respect quelquefois
Il m'attend au coin de chaque nouveau projet
Le retard qui court parce que je marche au pas

--G4rF--

Poème express [37/365] - À l'aube

À l'aube
Les premiers bruits s'installent au rebord des fenêtres
Les volets se rabattent, les torpeurs se dissipent
Le feu sur l'horizon, le jour qui va renaître
Que les piaillements des nids appellent et anticipent

Le voile humide des brumes se déchire sans bruit
Les autos pressées reprennent leur course folle
C'en est fini du calme tiède de la nuit
Bientôt je les rejoins en prenant mon envol.

--G4rF--

dimanche 19 août 2018

Présumé décédé (nouvelle)

Présumé décédé - Nouvelle
©2018 G4rF

Brocard entra dans le bureau de son collègue, sans frapper comme à son habitude.
Sur le coin de la table encombrée de paperasse, il libéra sa main du téléphone portable et du gobelet de thé citron dégueulasse qu'il traînait avec lui depuis un quart d'heure, attendant qu'il refroidisse.
Il s'empara de la chaise pliante que Kouamo gardait rangée contre l'armoire, et s'assit lourdement, faisant grincer le bois.
Le menton posé sur ses mains croisées, les yeux rivés sur le prévenu assis de l'autre côté de son bureau, Kouamo rompit le silence qu'il avait gardé pendant que son supérieur faisait son entrée et lâcha d'une voix dépourvue de la moindre trace d'intérêt :
- Vous voulez bien répéter ça au major, maintenant qu'il est là ?

L'homme assis face à lui avait la soixantaine bien passée.
Il aurait aussi bien pu porter au dessus de la tête une enseigne clignotante au néon clamant "Ancienne école" avec une flèche pointée vers sa tête. Le gars aurait sûrement fait un effort vestimentaire pour se présenter devant des gendarmes s'il avait été convoqué à la caserne.
L'occasion avait manqué : il avait été chopé en flag' dans la tenue noire et poussiéreuse qu'il arborait présentement, laquelle avait tout de même eu besoin d'un petit rafraîchissement dans le lavabo des toilettes du sous-sol, près des cellules, à cause de l'énorme flaque d'urine dont le prévenu avait copieusement souillé son propre pantalon lorsque les collègues l'avaient agrafé.

"Nerveux et épuisé comme un presque innocent", s'était dit Kouamo.
Il n'y avait pas eu effraction, pas de vol, aucun dégât à déplorer. Vu l'absence de toute trace de délit sur le pedigree de ce mec, vu aussi la modestie évidente de ses revenus, si le substitut du procureur poussait le vice jusqu'à déposer plainte, le type sortirait du bureau du juge avec l'équivalent moral d'un coup de pied au cul, et c'est tout.
Mais il fallait quand même savoir si ce qu'il disait était vrai : après tout, c'est pas tous les jours qu'on cuisine un mort-vivant.

Brocard venait de reposer la fiche préliminaire griffonnée à la hâte par Kouamo avant le début de l'interrogatoire. Il savait l'essentiel.
Le reste du PV était déjà sur l'écran de l'ordinateur.

"Major ?" demanda le prévenu en se tournant vers le nouveau venu.
- Brocard, monsieur Gerfaut. Je suis le major Brocard. Et je vous écoute.
- Major Brocard, cette situation... c'est... c'est un peu compliqué à expliquer, voyez-vous. Alors, n'hésitez pas à m'interrompre si je ne suis pas clair, j'ai vraiment besoin que vous me compreniez, insista le vieil homme.

- Monsieur Gerfaut, je suis là précisément pour comprendre, et je vous remercie pour ces belles manières. Mais je dois vous rappeler que vous êtes en cours d'interrogatoire, dans une caserne de gendarmerie, après votre interpellation sur les lieux d'une intrusion.
   C'est donc la moindre des choses que je vous questionne, vous ne croyez pas.
- Euh... oui. Oui, bien sûr. C'est normal, aquiesça l'homme en noir. C'est votre métier, hein ?
- Entre autres, monsieur Gerfaut. Allez-y.

"Je m'appelle Frédéric Gerfaut. J'ai soixante huit ans. Ca allait bien pour moi jusqu'au mois de mai, et là il m'est arrivé un truc pas possible.
J'allais faire un tour avec Coca, comme tous les matins...
- Coca, c'est... ? intervint Brocard.
- Le chien, major."
Brocard leva un sourcil, auquel Gerfaut répondit immédiatement :
"Oui, major, ni Rex ni Youki. Coca. C'est ma petite-fille qui m'a offert le chien et a trouvé le nom, et ça m'allait très bien de l'appeler comme ça. Même s'il n'est même pas noir ni même marron, et d'ailleurs il déteste le sucre.
- Poursuivez, intima Brocard.
- Oui. Donc, j'allais faire ma balade du matin, et en revenant il y avait la factrice devant chez moi, avec un bon paquet de lettres. A part deux ou trois factures et les courriers de la caisse de retraite et de la mutuelle, je n'ai jamais autant de choses d'un coup dans ma boîte, voyez-vous, et j'ai trouvé ça bizarre.
- Excusez-moi, monsieur, soupira le gradé, mais il va falloir qu'on abrège, ici. Je n'ai pas beaucoup de temps à vous consacrer".

S'emparant de son téléphone mobile sur lequel s'affichait l'heure, puis jetant un regard courroucé à Kouamo, il poursuivit :
"Mon collègue m'a demandé de venir parce qu'il y avait, je le cite, "des choses qu'il fallait que j'entende", alors allez au but.
- D'accord, d'accord, je vais essayer de faire court."

Gerfaut respira un bon coup, semblant réfléchir pour choisir ses mots. Puis il reprit.
"C'étaient des courriers de résiliation. Fin d'abonnement EDF, fin d'abonnement au téléphone, clôture de compte bancaire, etc. Tout ça pour cause de décès. Pour cause de MON décès.
- Pardon ?
- Tous les services auxquels j'étais abonné écrivaient aux ayant-droits pour payer les frais de résiliation et de clôture, parce qu'ils pensaient que j'étais mort."

Brocard sourit, de l'air de celui qui réalise que sa journée prend un tour plus intéressant que tous les emmerdements prévus à l'agenda du jour ne le laissaient espérer. Il rangea le téléphone dans sa poche, s'empara du gobelet de thé citron dégueulasse enfin descendu à une température supportable, et en prit une gorgée sans quitter Gerfaut des yeux.
Celui-ci continua.

"Pour tous ces gens j'étais mort. Et comme vous pouvez le voir, je ne suis pas mort. Même si l'état-civil dit le contraire, d'après votre collègue."
Kouamo intervint :
"J'ai fait une vérif', il est marqué comme décédé le 13 mai 2018. L'avis médical dit qu'il avait un pacemaker d'un ancien modèle qui a connu une défaillance et qu'il est mort dans son sommeil. L'avis est enregistré par un officier d'état-civil d'un bled paumé de l'Aveyron. Un de ceux qui ne font pas la grande grève.
   J'ai cherché dans l'annuaire, il y a un homonyme presque parfait qui habite un hameau du coin, un Frédéric Gerfaud, mais ça s'écrit avec un D. 
- Oui, mais je ne suis pas mort, moi ! insista Gerfaut. Moi, Gerfaut avec un T, je suis bien vivant ! Et d'ailleurs j'ai pas mis les pieds dans l'Aveyron depuis vingt quatre ans.
   Alors vous imaginez, dès que j'ai vu cette pile de lettres, j'ai sauté sur le téléphone et j'ai passé des coups de fil à tour de bras. Ca m'a pris 5 jours pour expliquer le problème à tout ce monde-là, et à rétablir tout ce qui pouvait être rétabli, à envoyer des emails aux services clientèles, avec des déclarations sur l'honneur comme quoi je suis bien vivant, et tout le tralala.
   Mais les seuls qui n'ont jamais voulu entendre raison, ce sont vos collègues du fisc. Et c'est de là que vient le vrai problème !
- Monsieur Gerfaut, intervint posément le major, la gendarmerie dépend du ministère de la Défense et coopère avec les services du ministère de l'Intérieur, nous ne sommes pas les collègues des services fisc qui dépendent de l'Economie et des Finances.
- Major Brocard, vous êtes un agent de l'état. Ces gens-là sont des agents de l'état. Pour le citoyen lambda, comme moi, vous êtes collègues.
   De toutes façons, peu importe : collègues ou pas collègues, ils ont exigé que je leur remette un acte administratif officiel annulant l'acte de décès.
- Et alors ?
- Alors ? Mais monsieur le major, j'ai cherché comment on annule un acte de décès : il faut passer devant un juge pour faire annuler un acte de décès, et tous les greffes sont en grève, les tribunaux saturés ! Vous savez bien que la grande grève dure depuis des mois, qu'elle paralyse les trois-quarts des services administratifs du pays, les télés, les journaux, les usines !
   J'ai déjà eu de la chance d'avoir quelqu'un du fisc au téléphone quand j'ai appelé pour régler le problème !
- Avec tout ça, intervint Kouamo, monsieur Gerfaut est resté juridiquement mort depuis le 13 mai.
- Avec tout ça, surtout, surenchérit Brocard, toutes les audiences des tribunaux ont été reportées, on ne sait plus quoi faire de nos détenus, il y en a qu'on doit relâcher parce que les délais sont dépassés, et c'est le foutoir dans ma caserne et dans tous les services d'ordre du pays ! Merci la grève !
- Major, vous savez bien que...
- Oui, Kouamo, je sais, coupa Brocard. Je la comprends, cette grève. Si ça ne tenait qu'à moi, je la ferai aussi, vous savez. Mais en attendant, ça fout la merde partout !
- Avec tout le respect, major, la merde était déjà là, c'est juste qu'avec ça, tout le monde la sent bien fort.
- C'est tristement vrai, Kouamo, approuva non sans dépit le gradé.
- Oui, mais moi, je suis pas mort, gémit faiblement le vieil homme.

Brocard prit deux gorgées de thé, fit la grimace, puis reposa le gobelet quasi-vide au coin de la table.
"Ok. Vous êtes mort sur le papier, ça vous met dans une situation très difficile. Est-ce que ça justifie de vous introduire dans les bureaux d'un journal régional, en pleine nuit, comme un voleur ?
- Mais oui, ça le justifie ! D'abord j'ai rien volé, et puis c'était la seule chose à faire !" soutint Gerfaut, un air outragé sur le visage.

Brocard sourit un peu plus. Cette journée prenait décidément un tour inattendu et plutôt plaisant.
"Avec des gens comme vous, pas besoin de demander des aveux, ils tombent tout seul du ciel ! plaisanta-t-il pour lui même. Sérieusement, expliquez-moi pourquoi c'était la seule chose à faire, vous voulez bien ?
- Mais bien sûr ! Vous voyez, j'avais noté le nom du monsieur des services des impôts. Alors je suis allé le voir, parce que le téléphone ne répondait plus.
   Je lui ai expliqué que c'était pas possible de me laisser pour mort, et puis qu'il fallait me rétablir dans mes droits très vite, parce que c'était en train d'aller très loin : leurs courriers automatisés et leurs mails parlaient de succession, de récupération des aides sociales versées...
   C'était des procédures faramineuses, avec des montants dingues : pour payer tout ça, il allait falloir vendre la maison... c'était catastrophique ! Et j'ai eu de la chance, parce que c'était un monsieur très gentil, et il m'a expliqué qu'il pouvait arrêter la procédure si je lui apportais un avis public expliquant que je n'étais pas mort.

- C'est quoi, ça, un avis public ? intervint Brocard. Vous voulez dire, un formulaire signé par quelqu'un, un papier de la mairie, un truc de ce genre ?
- Non, major, expliqua Kouamo. C'est un truc tordu qui vient de la jurisprudence, ça remonte presque à Napoléon. Quand un acte officiel devait être annulé dans une partie du territoire sur lequel il n'y avait pas de tribunal d'instance apte à traiter la demande d'annulation, ça se faisait. J'ai vérifié dans les textes les références données par le prévenu, ça existe vraiment.
- Ca se faisait, ça se faisait... Qu'est-ce qui se faisait, exactement ?
- Si l'individu présumé décédé produit un document ayant une valeur publiquement reconnue attestant du fait qu'il n'est pas mort, les services de l'état l'admettent comme pièce justificative, et la procédure est annulée. Dans la jurisprudence, c'était un article de la presse locale qui avait été admis.

Brocard réfléchit quelques instants, puis reprit la parole.
"Donc... considérant que tous les tribunaux d'instance sont en panne ou presque, et en tout cas le nôtre l'est, vous avez considéré que cette jurisprudence vous permettrait de régler votre problème avec les services du fisc, juste en leur donnant un article de journal annonçant que vous n'êtes pas mort ? C'est bien ça ?
- Précisément, major. Et c'est pour ça que...
- ...Que vous vous êtes introduit dans les locaux de l'Ouest Indépendant ? De nuit ? Et pour quoi faire, d'ailleurs ? Y'a personne là-bas la nuit, à part les femmes de ménage qui vous ont signalé.
- Ben oui, je sais bien, major. A ce journal aussi, ils sont en grève. Mais j'ai la femme de mon grand fils qui a été pigiste chez eux pendant longtemps.
   Elle m'a dit qu'elle connaissait bien celui qui s'occupe des articles qu'ils publient sur Internet. Elle l'a appelé, elle lui a expliqué, et il a été compréhensif mais il ne voulait quand même pas prendre la responsabilité de faire lui-même une publication pendant la grève. Il ne voulait pas passer pour un jaune, vous comprenez ?
   Alors on a discuté, et il m'a donné assez d'informations pour pouvoir écrire l'article moi-même et le publier depuis un de leurs ordinateurs."

Brocard reprit la parole, en secouant la tête :
"Mais qu'est-ce que c'est que cette histoire de fou...
- Ben oui, mais c'est pas moi qui ai commencé ! J'ai jamais voulu ça, moi ! s'indigna Gerfaut.
- Donc, vous comptiez publier votre article sur Internet, c'est bien ça ?
- C'est ça.
- Puis vous l'auriez montré à votre copain du fisc, et c'était réglé ?
- Voilà. Mais la dame qui nettoyait la moquette m'a vu, elle vous a appelé, et vos collègues m'ont emmené sans que j'aie eu le temps de faire quoi que ce soit" acheva Gerfaut d'un air morose.

"Mais au fait, interrogea le major, comment vous avez fait pour entrer sans effraction ? L'ami de votre belle-fille vous a donné une clé ?
- Oh non, c'est pas la peine. L'Ouest Indépendant, c'est un quotidien, vous savez, avec du monde partout tout le temps, et personne ne se soucie des portes parce qu'ils ont des badges et que la sécurité, les autorisations des badges, les vérifications des visiteurs, tout ça, c'est le travail des gardiens... mais même la société de gardiennage est en grève, à ce journal !
   Et comme ils ont commencé la grève les premiers, ils ont tout laissé déverrouillé pour que les journalistes puissent continuer à travailler sans être bêtement bloqués par un badge qui manque ou je ne sais quoi. Et c'est resté comme ça depuis."

Brocard acheva son thé, qui était maintenant froid mais toujours aussi dégueulasse, et balança son gobelet vide dans la corbeille débordante. Ici, c'était la société de ménage qui faisait grève, et ça se voyait.
D'un coup d'oeil sur son téléphone, il vit l'heure. Pensa aux milles choses qui l'attendaient ensuite. Observa Kouamo et sa mine fatiguée, la pile de dossiers en cours sur la table, et le vieux type en noir qui était mort mais qui ne l'était pas vraiment non plus, les jambes repliées sous sa chaise et la tête basse comme un gamin qui va se prendre une punition dans une classe de primaire.

Le major prit une décision.
"Attendez nous ici un instant, monsieur Gerfaut" intima-t-il, tout en faisant signe à son subordonné de le suivre dans le couloir, fermant la porte derrière eux.
Après quelques minutes de palabre étouffés, ils la franchirent de nouveau et reprirent leurs places respectives.
Kouamo réveilla l'ordinateur d'un appui sur le clavier et s'employa à remplir un formulaire sur son écran, hors de la vue du vieil homme.

Le major prit la parole, l'air las mais content.
"Monsieur Gerfaut, vous avez de la chance dans votre malheur.
   Je n'ai rien à gagner à vous remettre en cellule. Comme l'avait noté mon collègue, vous n'avez rien cassé, rien dégradé, à part votre pantalon. Et j'ai cru comprendre que vous aviez eu la bienséance de frotter la banquette de la cellule avec du savon pour en ôter vos traces de pisse. Vous avez bien fait.
   Je ne suis pas procureur, mais j'ai assez de métier pour savoir que la justice a sûrement autre chose à faire que vous poursuivre pour une intrusion non autorisée dans un bâtiment inoccupé pour y écrire un article affirmant simplement que vous n'êtes pas mort. Pour autant que je sache, d'ailleurs, considérant qu'actuellement vous êtes juridiquement mort, je ne sais même pas si une procédure pourrait être lancée. Quand bien même, vous pourriez facilement plaider que poursuivre un individu mort administrativement mais qui est en fait vivant techniquement, parce qu'il essaie de faire comprendre à l'administration qu'il est en vie, est une démarche située à la limite de la légalité, mais largement au delà de celle du ridicule.

   Je ne peux pas vous laisser retourner publier quelque chose chez l'Ouest Indépendant, surtout habillé comme un Arsène Lupin. Imaginez un peu : si vous tombez sur un gardien venu pour, je ne sais pas, chercher des affaires et qui soit un peu à cran quand il tombe sur vous au coin d'un couloir ! Vous pourriez bien vous faire secouer méchamment, et ce serait dommage de risquer de mourir en essayant de prouver que vous n'êtes pas mort, n'est-ce pas ?
   Alors vous allez sortir de ce bureau, juste après avoir signé le PV que mon collègue est en train de finaliser, et vous m'attendrez à l'accueil, près de la machine à café. Vous voulez bien, monsieur Gerfaut ?
- Euh... balbutia Gerfaut. Je... d'accord."

Une heure passa pendant laquelle le vieil homme patienta sans vraiment comprendre ce qui lui arrivait.
Le major le rejoint d'un pas rapide. Il tenait dans sa main un feuillet imprimé.
"Voilà, monsieur Gerfaut. Désolé pour l'attente, j'avais du travail sur le feu. Ca, c'est pour vous."
Celui-ci s'empara du papier et le lut, tandis que Brocard poursuivait.
"C'est un article paru à l'instant sur les comptes de réseau social de notre gendarmerie, qui explique votre histoire, moins l'incident du pantalon, et qui affirme clairement mais non sans humour que vous êtes bien vivant. Pour ce qui est de l'avis public, je peux difficilement faire mieux. Mais j'ai confiance : la signature d'un major de gendarmerie devrait aider votre copain du fisc à faire accepter ce papier comme pièce justificative.
   Là où vous en êtes, je pense que vous préférerez être de nouveau vivant, quitte à ce que les gens rigolent de votre histoire sur le web, plutôt que d'avoir à vendre votre maison. Ca vous va ?
- Je... je ne sais pas quoi vous dire, major, bredouilla Gerfaut.
- Dites-moi merci. Et dites-moi surtout que vous ne recommencerez plus vos visites noctures dans les locaux de la presse régionale ! rétorqua Brocard.

"Merci. Merci beaucoup, major !" s'émut le présumé décédé.
"Je... j'aimerais pouvoir faire quelque chose pour vous, mais je n'ai pas les moyens de... enfin, je peux toujours vous offrir un café !" proposa-t-il, cherchant sa monnaie au fond d'une poche de sa veste noire.
Le visage de Brocard prit soudain un air lugubre, et il arrêta d'un geste Gerfaut qui s'apprêtait à nourrir la machine.
"Merci, mais non, monsieur Gerfaut. Comme si ce n'était pas assez dur comme ça, avec la grève partout, ça fait bientôt trois semaines qu'il n'y a plus une goutte de café, et que cette saloperie de machine ne sert plus que du thé citron dégueulasse."

--G4rF--

Les pieds dans le tapis

C'est ma semaine de stats, apparemment. Je savais que j'étais à la bourre dans mon opération "365 jours de poésie express", mais je ne m'étais pas aperçu qu'en plus de prendre du retard je ne savais plus compter.
Apparemment j'ai réussi l'exploit de publier 2 poèmes numérotés 27 : "Chaud crépuscule" et "Le creux". Trop fort.
Bon, bah je renumérote...

Une fois les chiffres remis au propre, voilà où j'en suis :

  • temps : 41 jours écoulés depuis le début de l'opération
  • volume : 36 poèmes publiés
  • régularité : peut mieux faire. Il y a un delta de -5 textes publiés en regard de l'objectif initial, ce qui n'est pas si mal, mais n'est quand même pas top non plus.
    Plusieurs looongues coupures sont visibles dans l'agenda, dont seule la première est vraiment justifiée (j'étais malade), le reste c'est de la flemme ou du "pas la tête à ça". En essayant d'en publier 2 par jour de façon régulière, je devrais revenir à quelque chose de plus satisfaisant.
  • moral : après quelques fluctuations, ça remonte dans le bon sens, je me sens apte à tenir le rythme.
    Curieusement, le fait d'avoir eu à garder 2 clébards ces derniers jours m'a obligé à reprendre un rythme de vie plus cohérent, d'où meilleur sommeil, meilleure énergie... le résultat est clairement perceptible. J'ai écrit un truc là-dessus, je ferais sans doute bien de le relire.

--G4rF--

Poème express [36/365] - Zoom arrière

Zoom arrière
Une cuillère qui tinte
Dans une tasse de café
Près d'un sucre ensaché
Posé sur la soucoupe
Au côté d'un verre d'eau
Sur une table carrée
Au bord de la terrasse
Où ronronne le chat
D'un petit bar tranquille
À l'ombre des arcades
D'une rue de la vieille ville
Dans un coin éloigné
D'une province qui s'étire
Au soleil du mois d'août
Et toi, tout à côté,
Ta main posée sur moi,
Qui me regarde.
--G4rF--

Poème express [35/365] - Premières lumières

Premières lumières
Le nouveau jour donne à ta peau l'éclat sucré du printemps
Et ton sourire comme une promesse de délice exaltant
--G4rF--

vendredi 17 août 2018

Joyeux anniv à la bourre mon blog

Pris d'un accès de curiosité, je suis allé jeter un oeil sur l'historique de mes publications, et ça m'a permis de réaliser un truc con.
Ce 28 février 2018, donc il y a déjà presque 6 mois, mon blog a fêté ses 13 ans.
Eeeeeeh ouais.
13 ans à écrire des trucs, une fois de temps en temps, des fois de très longtemps en très longtemps.
Treiiiiize ans !
La vache.
Ceci ne nous rajeunit pas.

13 ans à bafouiller sur un clavier, avec l'hypothèse que quelqu'un, ami ou pas, curieux de passage ou pas, tombera dessus et n'aura pas trop l'impression d'avoir perdu son temps en ces lieux.

Un humoriste américain que j'aime beaucoup et qui s'appelle Lewis Black parlait dans un de ses spectacles de son soixantième anniversaire en termes peu élogieux, et rabrouait son public applaudissant la nouvelle en disant à peu de choses près : "il n'y a vraiment rien à célébrer, ni rien dont on peut être fier, quand on vieillit d'un an de plus. C'est juste un putain de coup de chance."
Mouais. Dit comme ça, évidemment...

Quoi que... à dire vrai, ça me fait quand même quelque chose de me dire que ce blog a 1 an de plus que ma grande fille. C'est sans doute le projet --je devrais dire, le méta-projet-- le plus long auquel j'aurai participé jusqu'à ce jour (en mettant de côté, bien sûr, mon concours permanent de "qui mangera le plus de saucisses au prochain barbecue")(je vous laisse deviner le vainqueur).

Ami·e·s de longue date qui lisez ces quelques mots, merci de votre étrange fidélité à mes pitreries scribouillardes.
J'espère être en mesure d'honorer votre patience envers moi encore un long moment. Poil aux dents.

--G4rF--

PS : au prochain message, l'année 2018 deviendra ma 2ème année la plus prolifique sur ce blog, ex-æquo avec 2005. Encore un petit effort et nous vaincrons le neumbeurre ouane, l'année 2011 et ses 52 posts jusqu'ici indépassables !

Poème express [34/265] - R.A.Z.

R.A.Z.
J'ai recouvert de peinture
Les plafonds, le sol, les murs
Tous badigeonnés de blanc
Virginaux et aveuglants

J'ai caché sous le pigment
Fiertés et sentiments
Saletés et sédiments,
Divagations, errements.

J'y ai enfoui sous l'enduit
Mes envies inassouvies
Des désirs inavouables
Et tant de pensées coupables

J'ai changé ma devanture
Dissimulé mes craquelures
Mal rebouché les fissures
Qui parsèment mon armure

Pour remonter sur les planches
Moi, la nouvelle page blanche
Dont on voit en filigrane
Des vieux moi les épigrammes

--G4rF--

jeudi 16 août 2018

Poème express [33/365] - Dernière pierre

Dernière pierre
Et quand je serai desséché
Quand je n'aurai plus que du sable
A la bouche pour te parler

Et quand j'aurai tout exprimé
Quand je n'aurai plus que du sable
Dans le coeur pour t'adorer

Et quand il me faudra stopper
Quand je n'aurai plus que du sable
Dans les jambes pour marcher

Je brûlerai d'une dernière flamme
Chauffé à blanc, je forgerai
Le sable en verre, cabochon d'âme
Taillé en cœur pour mieux briller

--G4rF--

mercredi 15 août 2018

Poème express [32/365] - À faire

À faire
Il y a les choses à faire, les actes appropriés.
Il y a le nécessaire, l'urgent, le différé.
Des tâches qui s'empilent en colonnes immenses,
Le futile comme l'utile, tout ce qui a un sens.
Il y a le temps qui fuit, s'échappe et accélère
Servitude et ennui du labeur parcellaire.
Des mains qui se fatiguent et un être abîmé
Et le sang qui l'irrigue, sirupeux et épais
S'échappe d'une entaille, blessure accidentelle
Offerte par ce travail dont le corps est l'autel
Objet de ces efforts, sujet des sacrifices,
Espérant le confort et la fin du sévice.
--G4rF--

mardi 14 août 2018

En passant...

Le cap des 30 premiers poèmes express est passé.
C'est le moment de faire un petit point vite fait sur cette expérience.

D'abord, je suis à la bourre. De 4 poèmes. Si je rattrapais mon retard, je devrais en être au 36ème le 16 août, c'est à dire à 10% de progression dans cette épreuve.

Ensuite, oui, c'est une épreuve, en tout cas je la vis comme ça. Je pense qu'à la lecture des textes on s'aperçoit assez vite que l'inspiration n'est pas franchement fulgurante et que les thèmes abordés n'ont pas nécessairement un intérêt fabuleux. C'était prévu : l'idée, c'est pas de faire de la grande littérature, mais de tester ma capacité sur le long terme à écrire un petit peu tous les jours, à sortir de mon cortex encrassé des trucs nouveaux, même médiocres.
Ceci explique notamment que la plupart de mes haïkus de cette série, qui par définition doivent évoquer un sentiment fugace lié au temps présent, sont plutôt péraves. Le haïku, c'est ma solution de lâcheté quand je n'arrive pas à faire de rimes ou trouver quelque chose à développer. Honte à moi.

Côté organisation, c'est pas top : écrire mon texte du jour arrive bon dernier dans mes activités quotidiennes, ce qui explique aussi sans doute la faiblesse générale du niveau atteint. Ce serait mieux de commencer chaque journée par l'écriture.
J'ai essayé ça ce matin avec le numéro 29. Je l'aime plutôt bien, ce texte. Initiative à renouveler.

Conclusion : c'est chaud patate, mais je tiens bon. Si j'arrive à concilier dans les mois suivants la continuation de ma remise en forme physique, la continuation de cette épreuve textuelle de longue haleine et le redémarrage de mon activité professionnelle, je pense pouvoir affirmer fin décembre que l'année aura eu un bilan positif.

Surtout, ne pas lâcher.
--G4rF--

Poème express [31/365] - Propre

Propre
Combattre le désordre
Déloger la saleté
Ranger ce qui déborde
Classer, trier, placer

Chacun à ses pénates
Tout bazar interdit
Surfaces nettes et plates
Le tumulte est proscrit

Grand ménage d'été
La poussière s'efface
Et laissera la place
A la nouvelle année

Qui bientôt recommence
Reprenant à zéro
Ramenant le chaos
S'étendant en tout sens
--G4rF--

Poème express [30/365] - Couvert

Couvert
J'ouvre des yeux troubles sur un ciel de grisaille
Ralenti, fatigué, les gestes maladroits
Je m'en vais trébuchant, et espérant de toi
Un rayon de soleil pour percer la muraille
--G4rF--

Poème express [29/365] - Dans les rouleaux

Dans les rouleaux
La chape grise laisse filtrer la lueur
Promettant l'avènement de jours de chaleur.
Soufflant ses dernières forces avant d'être chassé
Le vent grossit la houle et la fait déferler.
Bien moins qu'à la tempête, elle recouvre pourtant
D'un fracas formidable les cris des estivants
Tenus là en respect par les jeux de Neptune
Aux limites battues par le sel et l'écume
Certains hésitent un peu, mais quelques intrépides
S'y risquent tour à tour, pâles Océanides
Se confrontant, chétifs, à l'éclat des rouleaux,
Tentant de se soustraire à leurs coups de marteau
Et échouant parfois, devenant leurs victimes,
Comme il advint de moi lors d'un excès d'estime,
Finissant lessivé, essoré et meurtri,
Traîné au fond de l'eau comme par un tsunami.
De retour sur la grève, le cœur battant chamade,
Du sable plein les yeux, l'échine en marmelade
Conscience nait alors de cette petitesse
Des pantins que nous sommes devant la mer maîtresse
Qui même mollement et sans grande fureur
Nous balaie tels des quilles, d'un coup de pouce moqueur,
Et se rit bien de toutes nos bravacheries :
Son pays nous sera à jamais interdit.
--G4rF--

lundi 13 août 2018

Poème express [28/365] - Le creux

Le creux
Comme l'espace s'agrandit
Comme les mots résonnent
Dans ces pièces assoupies
Où personne ne fredonne
Les sourires en vacances
Les jeux s'en sont allés
En laissant le silence
Et tout trop bien rangé
Chaque matin j'y passe
Pour ouvrir les volets
Chaque soir j'y repasse
Et viens les refermer
Ces lieux clignent de l'oeil
Et préparent le retour
Des pieds sur les fauteuils
Et du bruit des bons jours.
--G4rF--

mercredi 8 août 2018

Poème express [27/365] - Chaud crépuscule

Chaud crépuscule
Derrière l'horizon
Plonge pour un long instant
L'astre alangui

--G4rF--

Poème express [26/365] - À la pêche

À la pêche
J'ai tenté de trouver
Au fond d'une carafe
Les restes d'une idée qui m'avait traversé

Je n'en ai repêché
Que la triste épitaphe
De toutes celles qui l'avaient précédées.

--G4rF--

Poème express [25/365] - Trop

Trop
Si les excès de table sont nocifs aux noceurs
Si l'abus d'exercice est néfaste aux sportifs
Si trop de travail abîme les travailleurs
Quel malheur attend l'amoureux superlatif ?

--G4rF--

lundi 6 août 2018

Poème express [24/365] - Discipline

Discipline
Qu'est devenu mon courage ?
Où est passée la conviction ?
Quelqu'un a vu mon énergie ?
Je cherche ma motivation.

J'essaie d'être en conformité
Avec le voeu que j'ai formé
D'arriver à m'améliorer
Pour devenir enfin entier.

Mais je rame, je te dis pas
C'est la galère, ce futur moi
Il se dérobe à chaque étape
Je le rattrape, paf, il s'échappe

Si la fonction crée l'organe
Si la pratique rend perfection
Ma discipline reste en panne
Et jette à bas mes ambitions

Écrire chaque jour, quelle épreuve
Et pourtant je m'en sais capable
Mais là où j'espère le fleuve
Ne coule qu'un ru misérable

Rester en forme, bouger souvent
J'ai essayé, je sais qu'ça marche
Mais trop dispersé, papillonnant
Je me soustrait à la démarche

Je cherche encore à installer
Pour une meilleure vie le bon cadre
Et la discipline où puiser
Les moyens de ma sauvegarde...

--G4rF--

Poème express [23/365] - Éclat

Éclat
Le pinceau blafard
Promène sa lumière
Sur la grève obscure

--G4rF--

Poème express [22/365] - Broc'

Broc'
Exposition publique de vieille intimité.
Mise à l'encan cyclique des objets passagers.
Tout un quartier s'arrête et exclut les autos
Et les chalands furètent autour des bibelots

C'est un passé usé qu'on vend à la découpe
Objets inanimés, accumulés, en groupe,
Disposés au soleil d'une planche sur tréteaux
Rêvant que s'émerveillent pour eux les badauds

À les voir alignés en parade futile
En ce curieux marché de vendeurs malhabiles,
Tant de mêmes bricoles sur tant de mêmes tables,
Me saisit le symbole, l'image redoutable

De la conformité de toutes ces possessions
Aux modes succédées de nos consommations.
Elles s'en iront grossir l'armée de nos rebuts
Objets de vieux désir aux attraits disparus

Remplacés par quoi donc, sinon leurs héritiers
Qui eux même s'en iront, par plus neufs chassés.
La bimbeloterie en grande ribambelle
De marchand en braderie pour finir en poubelle.

--G4rF--

dimanche 5 août 2018

Poème express [21/365] - Tard

Tard
Deux inconnus, ici, sur l'horizon violet,
Accoudés, silencieux, face au ressac sourd
Là, des enfants rieurs tournant dans leur palais
Luttent pour décrocher le droit d'un nouveau tour

Voici venir le chien tirant son maître en laisse
Arpentant le terrain en quête d'un repère
Et l'homme las halé sans douceur ni tendresse
Se laisse emmener par son impétueux compère

Plus bas, sur les galets, bien à l'abri dans l'ombre
Les amours balbutiants se font et se défont
Et le feu d'un mégot transperce la pénombre
Discernant des visages déjà rouges de passion

En terrasse, on range, on défait les couverts
Et bientôt tombera la fermeture de nuit
Les derniers attablés laissent traîner leurs verres
Consacrant l'oisiveté avec cérémonie

Tout cela m'apparaît là juste sous la fenêtre
De ce perchoir discret où se donne en spectacle
La troupe noctambule des chercheurs de bien-être
Qui chaque soir compose des drames et des miracles

Mais il est tard, ami, il me faut vous laisser
À votre tour, enfin, prendre quelque repos.
Quant à moi, j'ai envie d'aller déambuler
Et, sur ce beau théâtre, de tirer le rideau.

--G4rF--

samedi 4 août 2018

Poème express [20/365] - Courir

Courir
Courir après le temps,
Après ses ambitions.
Courir après l'instant,
Après une émotion.

Courir après la forme,
Après un meilleur soi,
Courir après la norme,
Ou ce qu'on en perçoit.

Courir après les dates,
Après les agendas,
Courir pour l'épate
Comme à la corrida.

Courir après quelqu'un
Après un espoir fou
Courir pour un parfum
Après un rendez-vous

Courir sans raison
Après quelque chimère
Courir avec passion
Pour dévorer la terre

Courir, courir encore
Pour arriver premier
Courir pour les records
Courir pour dépasser

Courir et puis franchir
Le drapeau à damier,
Se poser, respirer,
Avant de repartir

--G4rF--