lundi 12 janvier 2015

Même pas (si) peur (que ça)

11 Janvier 2015. A la faveur d'une coupure dans ma petite journée, je m'aperçois de la nécessité de mettre au clair et en ordre de compréhension mes réflexions sur le tumulte de la semaine.
Je vais parler de ceci : ce qu'est Charlie Hebdo pour moi, ce qu'est la presse satirique pour moi, ce que représente l'attaque, ce que représentent les mobilisations, ce que je pense des réflexions pro ou anti manif, ce qu'il en est de la récupération politique, ce que m'inspire l'avenir.
  • Ce qu'est Charlie Hebdo pour moi

Charlie Hebdo, c'est un de ces ovnis de cette presse dont je suis aujourd'hui friand. Mais pour être parfaitement honnête, il y a un moment que je n'achetais plus Charlie Hebdo, alors que, dans un passé pas si lointain, j'étais dans la file de ceux qui l'achetaient au kiosque chaque semaine (parce que je suis pour le maintien des kiosquiers). Cela a duré grosso modo jusqu'à l'époque de l'affaire Siné.
A ce moment-là, Philippe Val était rédac'chef depuis un bon moment. Mes opinions sur ce bonhomme étaient mitigées : plein de choses qu'il écrivait étaient en accord avec mon ressenti, d'autres en flagrant désaccord.
L'affaire Siné --qui fut viré comme un malpropre pour un billet pas plus outrancier que les autres où il soulignait l'opportunisme du grand fils de Sarko qui à ce moment là se convertissait pour épouser religieusement sa fiancée, riche héritière-- a été le révélateur pour moi de la nature intrinsèquement bouillonnante d'un périodique satirique.
Le déchirement interne qui a eu lieu à ce moment, déchirement qui vit Siné partir fonder son propre canard --Siné Hebdo, qui devint plus tard ce qu'il est encore aujourd'hui, Siné Mensuel--, déchirement qui vit Cavanna écartelé entre le respect dû à l'intégrité morale de Siné --collaborateur de longue date-- et son impuissance à voir celui-ci écarté d'un journal que lui, Cavanna, une des plus magnifiques plumes qu'il m'ait été donné de lire, avait créé avec Choron, ce déchirement était beau.
Car il montrait de l'intérieur ce qui se passe quand un conflit interne dans un canard se produit sans qu'une issue puisse être trouvée, et ça, on ne le voit jamais au grand jour.

Depuis, j'ai potassé mon histoire. J'ai appris qui est Delfeil de Ton, qui est Rémi Malingrey, j'ai appris à comprendre et approuver la nécessaire férocité du ton de Siné, qui est ce que l'on fait encore aujourd'hui de plus proche d'une liberté d'expression employée à bon escient : quel que soit le cas, et particulièrement quand il voue aux gémonies tel ou tel individu ou organisation, c'est toujours et systématiquement en son nom propre qu'il s'exprime, usant d'ailleurs (c'est devenu très rare) de sa propre écriture manuscrite et de ses propres dessins pour le faire.

J'ai appris à comprendre ce qu'était Charlie Hebdo, et pourquoi il s'appelait comme ça. Ce qu'était la Grosse Bertha. J'ai appris qui était Georges Bernier, alias le professeur Choron, apparemment doté d'une ambivalence d'humaniste épicurien et de quasi-escroc grandiose et passionné, prêt à (presque) tous les excès pour faire quelque chose d'énorme à chaque nouveau numéro. Choron, le père de Michelle Bernier que je voyais faire l'andouille avec deux comparses dont Mimi Mathy au "Théâtre de Bouvard" sur la télé familiale, avec les Inconnus qui étaient alors 5, et tant d'autres.

J'ai découvert la face de Cabu qui était invisible pour moi jusque là, quand je voyais ce gentil bonhomme discret à coupe de Mireille Mathieu faire des crobards chez Dorothée. Du coup, je suis allé lire le Canard Enchaîné, et je n'ai plus jamais arrêté. Le grand Duduche, l'adjudant Kronenbourg, les nouveaux beaufs... Et du coup, je me suis ouvert sur les autres, Wozniak, Lefred-Thouron, et tant d'autres, et là j'ai vu que Lefred dessinait aussi dans Fluide Glacial, dans lequel on trouve aujourd'hui Bouzard, qui dessine dans le Canard aussi, et la galaxie du dessin de presse et de la caricature m'est donc apparue en partant de Charlie.

J'ai découvert le contexte politique de ces années-là. Les années post-gaulliennes, les années Giscard, les années Pasqua. Les affaires : les diamants, Urba Graco, les fausses factures... J'ai compris des faits politiques, j'ai compris la logique de l'ORTF, la voix de l'état toute-puissante dans laquelle quelques empêcheurs de penser en rond rigolards envoyaient des pavés à la gueule de la bien-pensance, parce qu'il faut toujours un bouffon pour rappeler au roi sa condition humaine.







Bal tragique à Colombey : 1 mort.

Un exemple brillantissime de mauvais goût utile.





  • Ce qu'est la presse satirique pour moi
Tu l'auras compris, patient lecteur ou patiente lectrice, j'ai d'abord (et comme tout le monde) découvert la presse satirique par les couleurs criardes d'un canard qui s'appelait Charlie Hebdo, qui faisait rigoler mon tonton Jean-Luc et qui, au début comme tout le monde, m'a choqué par son irrévérence, puis m'a amusé par son contre-pied systématique de la pensée dominante.
En ouvrant ce journal, j'ai aussi découvert des articles bien écrits, bien léchés, des coups de gueule argumentés, et un esprit ouvert : on pouvait lire Charlie et ne pas être d'accord, mais force était de reconnaître que Charlie avait des arguments à faire valoir.

Dans la presse satirique, personne n'est irréprochable, pas même le journal lui-même qui est capable de s'auto-foutre de sa gueule. Seule règle : il faut que le contenu soit bon, sinon, ça ne se vend pas et le journal capote.

C'est arrivé à bien des titres de cette presse.

A la notable exception du Canard Enchaîné, qui affiche une bonne santé insolente, presque tous les titres irrévérencieux et décalés ont fini par admettre la présence de pub dans leurs colonnes, ce qui les a privés de leur liberté éditoriale et les a précipité vers un consensus pourri, direction le rayon des magazines, coincés entre Closer et Le Chasseur Français.

Pour moi, encore aujourd'hui, à travers des titres comme le Canard Enchaîné, Siné Mensuel, CQFD, Bakchich et Charlie Hebdo, c'est une image juste du monde qui nous est restituée par le dessin en creux de tout ce qu'il dégueule.
Je connais peu d'exemples d'autres media capables du même degré de justesse, alliant le désespoir de l'humour noir au plaisir féroce ressenti en voyant des cuistres gonflés de leur importance remis à leur juste place (avec un taquet derrière la tête et un "p'tit con" pour faire bonne mesure). L'un d'eux est le "Daily Show" de Jon Stewart, que je rêverai d'avoir le privilège d'adapter à la France. Si vous ne connaissez pas, jetez vous dessus, c'est du grand art.

La presse satirique n'a de compte à rendre à personne d'autre que ses lecteurs. Elle se doit d'être juste et pertinente dans son propos, d'être amusante et d'informer, car de la fidélité de son seul lectorat dépend son avenir. Malheureusement pour nous, l'actualité locale ou internationale lui offrira du grain à moudre sous forme de saloperies et de bassesses justifiant de nouveaux numéros pendant de longues années encore.

La presse satirique relève ce défi chaque semaine. Je l'achète chaque semaine. Et si vous ne le faites pas, je vous tire la langue virtuellement. Na.

  • Ce que représente l'attaque
Le 7 janvier 2015, j'étais au boulot près de la gare de Lyon dans le XIIème, autant dire à peine à une borne de là où le carnage a eu lieu.
Quand mon pote Manu m'a parlé de ça, j'ai cru qu'il se foutait de ma gueule. Et, curieusement, ça a fait le même effet à tout le monde au fur et à mesure que l'on informait les collègues environnants.
"Naaan, tu déconnes ? Nan ? Oh meeeeeerde..."
Ceci résume assez justement l'état des réflexions de l'instant.
Ensuite, la machine à penser au delà du superficiel se met en route, et on essaie de comprendre. On suit l'actualité à travers la fenêtre de l'ordinateur et des news Internet. On parle de lance-roquette. De 4 morts, puis 5. Trois agresseurs. Des Allahou Akbar. Des "on a vengé le prophète".
Tandis que la journée progressait, j'ai échangé avec mon ami ToM quelques SMS, dans lesquels je lui faisais part de ma première pensée : "si avec ça on se bouffe pas 40% pour le FN dans les prochains scrutins, ça sera un putain de miracle".

Dire ce que représente l'abattage systématique à l'arme de guerre de plumitifs, de journalistes, de dessinateurs, d'un agent d'entretien, d'un correcteur et de deux flics, bah...
C'est un putain de meurtre de masse. Doublé d'une tentative vouée à l'échec dès le début de faire taire ceux qui s'autorisent à blasphémer parce que la loi le permet (et devrait le permettre partout, si vous voulez mon avis).
Mélenchon a déclaré que c'était un assassinat politique : effectivement, c'est une tentative grotesque et démesurée de foutre la pétoche et de faire fermer leur gueule à des incroyants --donc un geste politique-- qui a été effectuée par le biais de meurtres délibérés --donc c'est un assassinat.

Manque de pot, les mecs qui l'ont commis --et dans l'actualité d'autres pays que la France, c'est bien plus fréquent que d'aucun le pensent-- n'ont pas bien mesuré que l'immense majorité de la population mondiale ne respecte que très vaguement les lois de leurs religions respectives (quand ils en ont une), ceci pour des raisons assez simples à expliquer : quand tu écris un code de vie qui dépasse les 10 pages, ça devient vite très très difficile d'écrire une chose sans se contredire dessus plus ou moins largement quelques pages ensuite. D'où interprétation. D'où divergence de points de vues. D'où conflits. D'où pain dans la tronche, et tout ce qui s'ensuit.

C'est le grand problème des religions dites "du livre", qui prennent un tel plaisir à se scinder, se défier, s'auto ou s'intermassacrer depuis tant de temps, pour une virgule mal placée, un verset "satanique" ou que sais-je encore, entre textes apocryphes et retouches contestables, chacun étant susceptible de passer en un instant du statut d'inconnu au statut d'infidèle éliminable à l'envie, sans qu'un seul geste ou une seule parole de sa part ne puisse expliquer le basculement. Mauvais endroit, mauvais moment, mauvaise foi ? Oui, mauvaise foi, très certainement. Mais laquelle, au fait ?
Faut dire aussi qu'il y a une telle différence entre la religion hébraïque, qui ne connaît qu'un dieu, la religion catholique, avec sa divinité unique, et la religion musulmane, définitivement monothéiste... Je rigole à peine.

Cette attaque pose un problème aussi parce qu'il faut bien se rendre compte que l'influence d'un titre de presse comme Charlie Hebdo sur la politique française, notamment à l'extérieur, notamment en ce qui concerne les relations avec les pays à dominante arabe, notamment avec les organisations plus ou moins extrêmistes dans leur interprétation des commandements coraniques et leurs visées politiques, hé ben cette influence est quasi-nulle.

C'est triste à dire, car Charlie Hebdo pratique peu la langue de bois et sert souvent des vérités (crues), mais entre le poids et l'influence globale d'un Charlie Hebdo ou d'un Figaro, ben y'a pas photo.

En visant délibérément ce journal, faisant de la provocation un élément de son vocabulaire journalistique autant qu'un argument de vente auprès des passants devant le kiosque, les allumés qui ont fait leur massacre se sont totalement gourrés de cible : les apostats de la presse satirique sont un poil à gratter qui n'a jamais empêché vraiment les basses manoeuvres des gouvernements plus ou moins policiers qui se sont succédés à la barre de la France.
Tout au plus les révèlent-ils, en prévenant parfois certaines, ou amoindrissant leurs conséquences : pas vu, pas pris, mais si vu, on la joue profil bas.

"Je n'ai rien à voir avec ce blog ni cette blague"
"Je n'ai rien à voir avec
ce blog ni cette blague."
En clair, c'est une attaque stupide qui, j'en suis convaincu, va attiser le feu sous la marmite des connards qui voudraient nous faire croire que l'islam est particulièrement dangereux. Alors qu'il suffit de regarder Grand Corps Malade et on voit bien que c'est pas méchant. Bah oui, parce que Grand Corps Malade, y' slam.*
*Cette blague gratuite vous est livrée telle quelle et sans garantie de rigolade, mais moi je trouve que ça détend bien l'atmosphère qui devenait un tantinet pesante.
Non, décidément, à l'instar de toutes les religions --à l'exception du SubGenius-- l'islam est (à mon sens) dénué d'une valeur critique essentielle car il accepte qu'on puisse le rejoindre mais pas qu'on puisse le quitter. D'où prosélytisme.
Et le prosélytisme, c'est d'la merde, voilà ce que j'en pense, et voilà la faille de toutes les religions pour moi. Maintenant, si t'as envie de croire en Dieu, Allah, Jehovah ou au Monstre Spaghetti Volant, pas de problème tant que tu viens pas m'empêcher de vivre relax.
  • Ce que représentent les mobilisations
Je suis allé Place de la République avec mon pote Brice, où je suis resté un petit moment. J'avais peur, en m'y rendant, d'être un peu tout seul comme un con avec mon p'tit papier "Je suis Charlie". Coup de bol, y'avait du monde. Et quand je me suis barré pour rentrer chez moi gérer les mômes avec madame, il y avait de plus en plus de monde. J'étais content. Pourquoi ?
Parce qu'il est impossible de nier le caractère spontané du mouvement (ça c'est le premier point fort) et qu'il est extrêmement agréable de voir les réseaux sociaux jouer un rôle suffisamment positif pour voir des gens aller vraiment dans la rue.
Avec le mouvement des gilets jaunes, j'ai vécu plus d'une fois la déconfiture triste et sordide de la manif à laquelle tout le monde annonce participer et qui, une fois les comptes faits, s'avère pas si suivie que ça, peut être parce qu'il faisait pas beau et qu'en fait c'est plus facile de cliquer sur "Participer" dans un événement Facebook que de bouger son boule et aller manifester.
C'est ce que j'appelle l'effet "Révolution point com", dénoncé longtemps avant moi par No one is innocent, et je vous recommande de lire les paroles si vous ne les connaissez point.

Mais là, que nenni. Du monde, du monde, et encore du monde. Avec toutes les couleurs de peau (ça fait beaucoup) et tous les sexes possibles (ça fait moins mais c'est bien quand même). Et un air profondément sonné sur une grande part des visages.

A la première seconde où j'ai pesé la décision d'aller ou pas rendre hommage aux victimes, la question s'est imposée : "non mais attends, là, ducon... Charlie et les satiriques, les irrévérencieux, tu penses vraiment que ça va dans le sens de ce qu'ils promeuvent d'aller participer à une pleurnicherie collective pleine de bons sentiments ? Penses-tu vraiment rendre hommage à leur esprit, à leur défiance face à la menace maintes fois renouvelée des connards étroits du bulbe qui confondent un dessin de presse et une injure à leur foi ?".
A cet instant, je me suis dit que, quand même, mon dialogue intérieur était vachement classe, avec des expressions comme "maintes fois renouvelée". Waouh, quel homme. Quel charisme. Et quelles chevilles.
Et je me suis dit aussi que, malheureusement, ce n'était pas à Charlie Hebdo qu'il fallait rendre hommage, car du haut de ma considérable expertise dans le domaine de la presse satirique, je savais que Charlie survivrait et que sa prochaine couverture serait sûrement écoeurante d'outrage et à crever de rire. Non, c'est à la liberté de proférer son opinion qu'il fallait apporter son soutien.

Voilà ce que je comprends et que je déclare quand j'écris et affiche "Je suis Charlie". Je veux pouvoir donner mon opinion librement, et donc me prendre une volée de "tas gueule crétin" si mon opinion est stupide. Je veux pouvoir parler et argumenter sans avoir peur de me prendre une bastos parce qu'un quelconque décérébré a décrété pour l'ensemble du monde qui l'entoure que désormais, sans son autorisation en 3 exemplaires, bah on avait le droit de bien fermer sa mouille et pis c'est tout.

Alors, les mobilisations, oui, j'appuie, parce qu'elles sont citoyennes. Et si Charlie Hebdo titre mercredi "Veuillez nous excuser pour cette interruption momentanée de l'image et du son", et tire à boulets rouges dans ses colonnes sur tous ceux qui sont allés comme moi lever symboliquement leur majeur face à la connerie pour affirmer un "même pas peur" global, hé ben je rigolerai doucement parce que je sais lire entre les lignes, parce que Charlie fera du Charlie et que donc on peut encore compter sur lui pour faire rougir les suffisants.

Je vois ces manifs comme un hommage à l'idéal républicain de droit à l'ouvrir sans crainte. "Je suis Charlie", c'est le mot d'ordre. Rien de plus.

  • Ce que je pense des réflexions pro ou anti manif
Pour ce qui est des pro-manif, s'ils envisagent cela comme je pense que cela doit être fait, c'est à dire comme une expression citoyenne collective mais d'initiative individuelle, alors j'approuve. L'idée républicaine, et notamment les 2-3 lignes des textes fondateurs qui renvoient à la liberté d'expression, doit être de temps à autre publiquement appuyée par les citoyens eux-mêmes, et pas uniquement par les guignols variables qu'ils envoient pantoufler à l'Elysée ou ailleurs.

Pour les anti-manifs, je me tâte. C'est après tout un élément important de la liberté d'expression que la liberté de fermer sa gueule. Et je considère personnellement qu'un citoyen français a parfaitement le droit de conchier Charlie Hebdo par tout moyen légalement toléré à sa convenance et de regarder avec le plus vif mépris ceux qui ont la même démarche que moi. De même, on a aussi le droit de ne pas aller manifester et d'être en désaccord avec les arguments pro-manif, sans pour autant se torcher avec la liberté d'expression (puisque justement, on s'en sert, là).

Je réserve toutefois un peu de venin pour ceux qui déclarent ne pas vouloir participer aux marches ou autres regroupements plus ou moins organisés parce que, j'en cite certains, "[ils] ne [veulent] pas défiler à côté de Hortefeux, Hollande, Sarkozy ou Netanyahou". Certes, mes gaillards, vous êtes dans votre bon droit en affirmant ainsi votre choix. Mais si vous considérez les choses de la sorte, c'est sans doute que le message martelé par la belle harmonie de la machine médiatique vous a convaincu que la fameuse "union sacrée" était le fait de politicards et à l'initiative d'iceux. Or, c'est faux, cela ne peut être que faux, et cela DOIT être faux.

L'idée républicaine, et voltairienne pour l'occasion, est que la république permette à toutes les idées de s'exprimer. Pas plus de droit pour les fumiers de tel bord de s'exprimer que pour les bâtards de tel autre.
Et tel que je vois les choses, quand je marche avec de parfaits inconnus et que je respecte une minute de silence collective, je suis plutôt content de voir ce paquet de citoyens qui, en d'autres circonstances, se colleraient sans doute des pains dans la gueule parce que l'un vote FN et l'autre NPA, mais qui sont réunis là pour soutenir quelque chose de plus important que les querelles d'opinion : le droit à avoir des querelles d'opinion.
C'est un fait tellement banal de notre pays qu'on en oublie très vite qu'il est quasiment inatteignable dans tout un tas de pays moins friqués et bardés d'IPhone que le nôtre. Mais voilà, chez nous, on a ce droit. Pas de police religieuse. Pas de police politique.
Certes, on n'est pas à la fête, loin de là, et quand on met bout à bout les politiciens professionnels véreux et carriéristes, les législations scélérates et liberticides, les media lèche-boule et le culte du pognon et du cul, on a du mal à se retenir de vomir.
Maiiiiis... on a le droit de vomir, et d'écrire pourquoi, et c'est précisément ce droit que j'exerce en alignant des signes sur mon clavier pour que toi, gentil et très très très courageux lecteur (ou lectrice), tu t'en fasses ta propre opinion. Après, tu as le droit de m'écrire en commentaire que tu trouves ça génial ou à chier, que tu approuves tout ce que je dis ou que tu n'y vois qu'un tissu d'inepties ou, plus probablement, un truc qui flotte quelque part entre ces deux extrêmes.
Donc, aller manifester avec Sarkozy, Hollande ou Netanyahou, moi, personnellement, ça me foutrait des boutons (et si quelqu'un est intéressé à savoir pourquoi je me tiens à sa disposition pour en causer peinard). Mais là, c'est juste un citoyen français comme moi qui arpente le même pavé que moi, pour soutenir le droit à ouvrir sa gueule.
"Je ne partage pas les opinions de
Monsieur G4rF, et c'est pourquoi j'ai
décidé [... blablabla ...]"

Je n'y vois aucun problème, et je n'approuve pas le bonhomme pour autant. Que l'on se rassure, d'ailleurs : Sarkozy ne m'approuve probablement pas non plus. Je suis sûr qu'il n'a pas voté pour moi, le p'tit salaud. :)





  • Ce qu'il en est de la récupération politique
Avant dernier chapitre de ce fleuve logorrhéique : la récupération politique.
Je sais, je suis de parti pris, ou c'est en tout cas ce qu'une bonne moitié de mon lectorat va penser en lisant la phrase qui suis. Mais quand même, j'approuve de nouveau les propos tenus par Mélenchon dans sa conférence de presse (18 minutes, quand même, ça pique les yeux au bout d'un moment, sans parler de la prise de son à chier, mais c'est un autre débat).
Soyons clairs : je me méfie comme de la peste des figures politiques qui vont dans le sens de ma pensée. J'ai trop souvent été déçu par les virages pris ultérieurement par des gens auquel j'apportais mon crédit. Donc, prenez ces mots avec les précautions nécessaires : sur ce coup-là, dans ce contexte-là, j'approuve ses paroles.
Et par rebond, je désapprouve presque toutes les autres paroles de tous les autres représentants politiques.
En résumé (très très résumé), Méluche a dit "c'est un assassinat politique, l'organisation des hommages ne doit pas être le fait du pouvoir, c'est aux syndicats et associations de préparer les choses, et les organisations politiques doivent se mettre à leur disposition pour aider si on les sollicite".

Brochette d'officiels
(avant cuisson)
Bilan des courses, aujourd'hui : une brochette de proches endeuillés, suivis d'une brochette de chefs d'état et de figures politiques, suivis de tout un bordel de citoyens.

Pour les chefs d'état, mon opinion est mitigée : je pense que décréter le deuil national est une mesure valable, je pense que le chef de l'état français a sa place comme tout citoyen dans la marche de soutien à la valeur républicaine de libre expression, et je pense que s'il prend l'envie à d'autres chefs d'état de s'afficher là comme soutiens de cette libre expression, a fortiori quand il s'agit du meurtre de journalistes d'un canard satirique de première force qui leur a à peu près tous chié dessus dans un passé plus ou moins proche, tout n'est pas à jeter. Forcément, le geste est politique, et vu l'aspect péjoratif pris par l'adjectif "politique" ces dernières années, il y a dans cette attitude une évidente récupération pour se faire une belle image de défenseur de la liberté d'expression à peu de frais. Mais la prochaine fois qu'on verra l'un ou l'autre de ces bonshommes évoquer le fait de faire fermer sa gueule à un journal peu flatteur, on pourra leur coller les images de la marche sous le nez, et ça, ça servira à quelque chose.

Pour les responsables politiques sur place, bravo à ceux qui ont marché au milieu des quidams et sans déployer de drapeau aux couleurs de leur parti. Quant aux autres, que dire... marcher en groupe d'intérêt commun, c'est un contre-sens évident du principe d'acceptation de l'expression divergente des autres. Et faire péter les drapeaux et les fanions, c'est nul. Mais bon, ces nuls sont nos concitoyens, et ce jour-là ils ont été plus cons que citoyens. J'espère que ça leur passera.

Pour les responsables politiques qui n'ont pas fait le déplacement en prétextant la récupération par les autres ou le refus de se joindre à cette prétendue mascarade, j'espère que les prochains scrutins seront l'occasion pour tous les citoyens anonymes qui ont marché aujourd'hui de leur signifier aimablement à quel point ils apprécient d'être pris pour des moutons.

Enfin, pour les citoyens anonymes, justement, vous faites là chacun preuve de la seule récupération politique qui ait un sens à mes yeux : la récupération de votre pouvoir par vos pas dans la rue. Ça fait partie des droits des citoyens, et bordel j'estime que c'est aussi un devoir d'occuper le terrain, sinon une enflure l'occupera pour vous. Oui, je sais, c'est grandiloquent, mais je n'en démordrai pas : l'absolue totalité des véritables avancées républicaines ont été faites par le peuple en conquérant l'espace public. L'espace public est à tout le monde. Donc, vous y êtes chez vous : ne laissez personne tenter de vous convaincre du contraire.*
*toutefois, si vous essayez de faire un sit-in au milieu d'une autoroute, il est à craindre qu'un 35 tonnes ne réussisse définitivement à vous convaincre dans un délai très bref : soyez citoyen, pas con-citoyen.

  • Ce que m'inspire l'avenir.
De la pétoche. Clairement.
Ouhlà, je vous vois venir, avec vos gros sabots virtuels : "ouh l'autre, il a peur parce qu'il va y avoir des attentats, et ça va péter de partout dans toutes les rédactions, et on pourra plus rien dire". Hé bin non, perdu. D'ailleurs, si vous avez réussi à me lire jusque là et que c'est ça que vous pensez, je me demande ce que vous prenez comme drogue, parce que ça m'intéresse.
Si j'ai la pétoche, c'est parce que comme toute grande secousse, elle va être accompagnée de répliques de plus ou moins petit format, d'effets collatéraux, de dommages, et ça, ça me fait flipper. Je m'explique.
Il n'a pas fallu trois jours pour que des imbéciles de vengeurs du dimanche s'en prennent à des mosquées, accrochant aimablement tête et viscères de porc à la porte d'entrée, balançant des grenades à plâtre avec un courage formidable mais, quand même, de nuit (sans doute pour mieux voir le flash de la détonation, ah, ces esthètes du plastic...). Certains nazebroques ont poussé le vice jusqu'à plastiquer un kébab. Hé ouais. Vous avez bien lu.
Quelle connerie, la guerre de religion. Et en plus, je sais
plus où aller bouffer, ce midi, moi.
Alors, l'histoire ne dit pas s'il y avait un contentieux particulier entre Jean-Kévin Leboulet et Mohammed du kébab (sans doute ce misérable avait-il mis trop d'oignon et pas assez de sauce blanche dans la dernière commande de Jean-Kev), mais on en est là.
Je pourrai rappeler commodément le sketch de Pierre Desproges intitulé "Les rues de Paris ne sont plus sûres". Je pourrai citer des dizaines de personnes, hommes ou femmes, français ou étrangers, qui ont fait le même constat que l'immense majorité d'entre nous (la connerie est un virus contagieux) et nous ont mis en garde à leur façon.

Seulement voilà, je vois dans cette histoire et dans la suite potentielle la révélation à la face de toute la population française (et du reste du monde par extension) d'une réalité déjà ancienne : ça chie dans le ventilo chez nous. Et par définition, quand ça chie dans le ventilo, tout le monde est éclaboussé. Je me re-explique.

Je suis blanc. Je suis un homme. Je dépasse allégrement le mètre quatre-vingt-dix. Et j'ai une bonne grosse tête de français de souche (pas de bol, je suis d'ascendance hollandaise). Le nombre de contrôles policiers que j'ai vécu dans ma vie se compte sur les doigts d'une seule main. Dans bien des cas, lesdits contrôles ont eu lieu alors que j'étais en présence ou accompagné de personnes (connues ou inconnues) dont l'aspect gaulois n'était pas des plus prononcés.
J'ai grandi dans la ville nouvelle des Ulis, en Essonne, qui brille par une spécificité bien à elle : grâce à la proximité de la zone d'activités commerciales de Courtaboeuf, où l'on trouve les sièges sociaux français de petites boîtes discrètes comme Microsoft ou Hewlett-Packard, la ville des Ulis est une des rares villes nouvelles dont on n'entend quasiment jamais parler. Il y a des tours, des HLM, des dalles en béton, du trafic, du racket, mais l'essentiel de mes souvenirs de cet endroit et de ceux que je connais et qui y vivent encore, c'est qu'on y vit pas si mal.
Là-bas, mon père était inscrit au club de savate, et les trois-quarts des licenciés n'avaient pas franchement une tronche de françaoui de base. Et ils se tapaient dessus (forcément, c'était un club de savate, suivez, un peu). Et chaque année, pour l'aïd, mon père était invité par ses potes, et j'y allais aussi, et un jour j'ai vomi quand j'ai vu le mouton sur la broche mais bon, j'avais 5 ans, j'étais émotif. Aujourd'hui, j'irai sûrement m'en resservir une tranche.
Or, pourquoi je vous raconte tout ça ? Parce que plus je m'informe, et plus j'ai l'impression d'avoir eu la chance inouïe de passer ces moments de mon existence dans un cadre idyllique, où on en avait absolument rien à battre de prendre Mohammed ou Jean-Christian dans son équipe de foot (sauf que là, ça compte pas, Mohammed il jouait bien mais il était perso, et Jean-Christian était spécialisé dans les buts contre son camp). C'est peut-être parce que ça a trait à ma jeunesse et que j'embellis mes souvenirs, mais je m'en foutais complètement.

Puis-je objectivement dire aujourd'hui, quand j'allume la télé sur les chaînes gratos de la TNT et que je vois s'enquiller en début de soirée les reportages sur la drogue et la violence et les vilains pauvres profiteurs du système et les dealers, que le monde dans lequel j'élève mes gosses pratique un discours d'impartialité objective ? Quand j'entends, comme ce fut le cas le 8 janvier 2015 au matin, dans un café, à la télé, un mec de BFMTV décrire (et je cite avec des pincettes) le suspect du meurtre de la policière municipale comme "un homme de race noire", moi, je gerbe intérieurement. J'ai l'impression que tout est à refaire. Un homme de RACE noire ? Race ? Vous êtes sûrs, là ? Vous voulez pas appeler un ami, de préférence moins con ?

Je lisais il y a quelques temps une interview de Neil DeGrasse Tyson, physicien et vulgarisateur scientifique américain. Il disait à peu de choses près les mots suivants : "une société ne peut apporter à l'éducation de ses enfants que le meilleur de ce que les parents savent. Quand on s'interroge sur la faiblesse du niveau des enfants à l'école, c'est peut être qu'il faut commencer par améliorer le niveau des parents".
En écrivant ça, je pense à Jamel Debbouze, qui disait dans un sketch : "mais les jeunes de banlieue ils en ont marre des hommes politiques qui leur font des tas de promesses qu'ils tiennent jamais. Ils voient bien que l'ascenseur social il est coincé au 2ème sous-sol et qu'il pue la pisse". Bah c'est toujours vrai, et ça participe fortement du problème selon moi.
Il apparaît souhaitable dans tous les cas de pouvoir mesurer ce qui peut amener les glandus de France qui partent jouer à boum-boum la guerre (mais y'a aussi des glandues, qui s'imaginent sans doute en saintes soldates et ignorent que pour la plupart, elles se taperont la bouffe des barbus avant de leur servir de femme de réconfort, ce qui est plus délicat à prononcer que pute de campement).
C'est donc extrêmement dommage, en tout cas c'est mon opinion, que les frères Kouachi et Amedi Coulibaly aient été abattus et n'aient pu être traduits en justice.
EDIT : comme le précise l'ami Brice, ça fait d'ailleurs 3 morts à ajouter au body count final. Y'a eu 20 morts au total, donc, dans l'affaire.

Outre le fait que ça aurait évité de les faire passer pour martyrs auprès des dingos de tous les pays qui vont désormais élever des bourrins meurtriers au statut de bienfaiteurs de l'inhumanité, outre le fait que ça aurait donné aux proches des victimes l'occasion de très certainement voir les assassins payer de la totalité de leur liberté le prix de leur folie...
Figure de réussite sociale pour adolescent désoeuvré
(illustration)
ça aurait aussi permis de décortiquer finement l'empilement des causes sociales qui ont abouti à faire de paumés qui, si j'ai bien tout compris, n'aspiraient à une certaine époque qu'à grapiller un peu du swag malsain d'un Tony Montana en fumant et en faisant de la petite délinquance, des brutes sanguinaires faisant la guerre sainte à des dessinateurs, des flics en vélo et des clients d'épicerie.
Casher, certes, mais d'épicerie quand même.
Et si vous comprenez pas que, là, en mettant le casher à part, je blague, recommencez à me lire du début. Sans les voyelles, tiens, ça vous apprendra.

Je flippe de voir toute une bande de connards jouer les vengeurs. Je flippe de voir les fachos remporter des voix chez tous ceux que la tentation de la peine capitale fait mouiller (dommage qu'ils ne connaissent pas les statistiques d'erreurs judiciaires, ça les ferait peut être réfléchir). Je flippe de voir le respect du droit, qui est central dans tout ce qui constitue une société non barbare, céder le pas aux pulsions irréfléchies de bigots et d'anti-bigots aussi radicalement étroits du bulbe les uns que les autres.
Mais le côté positif, c'est que la plupart des connards en question ont fait leur coming-out sur twitter et facebook, invectivant et menaçant tant et si bien qu'il n'y a plus qu'à se baisser pour constituer la liste des blaireaux à installer devant quelques bouquins bien ardus ou bien tordus ("La république" de Platon, ou "Mein Kampf" de Gros Con). Je me demande s'ils verront le parallèle entre le djihad et le liebensraum... Ceci s'adressant bien sûr aux abrutis assassins autant qu'aux têtes pleines d'eau qui pensent que leur mort, assortie pourquoi pas de celles de tous ceux qui les approuvent, serait un pas en avant pour notre beau pays de France.

Et derrière tout ça, fatalement, la question de l'éducation citoyenne. Celle de la responsabilité des politiques face au traitement inégal des minorités, à la ghettoisation, à l'abandon en rase campagne des zones de non-droit et de leurs habitants. Celle du vacarme médiatique, diluant les vieilles recettes de la peur et de l'angoisse pour mieux vendre des tunnels de pub avec des bagnoles trop chères et des lessives qui lavent plus blanc. Celle des contrôles policiers au faciès, violemment stimulés par les amendements anti-terroristes et liberticides qui s'empilent depuis des années, qui font qu'aujourd'hui, même le mec qui n'a rien à se reprocher à peur de se faire pourrir par des policiers tout puissants.
Après le 11 Septembre, les Etats Unis ont passé le Patriot Act, qui a donné des pouvoirs étendus aux forces de l'ordre et aux armées, ce qui n'est jamais sans conséquence. On l'a vu avec Abou Ghraib, avec Guantanamo, on le voit avec de multiples affaires de Noirs abattus par des policiers ou des milices locales parce qu'ils avaient seulement l'air suspect. Tirez d'abord, discutez après, ça n'a pas toujours été le principe aux US, il faut que ça se sache : c'est récent.
La France espère-t-elle faire face avec succès au défi de l'intégrisme en empruntant un chemin qui a mené les Etats-Unis, superpuissance s'il en est, à l'échec en Afghanistan et en Irak, et sur son propre sol à une poussée inédite des communautarismes là où le mythe du "melting pot" était si fièrement présenté comme indissociable de la nature profonde de la nation ?

En clair, que fait-on dans ce pays pour donner une chance équitable à tous, et pour qu'un citoyen avec une tronche non-blanche ait l'impression d'être français avant d'être suspect ? Que fait-on pour que la France, vue de l'extérieur, ne soit plus un joli petit pays rempli de gros cons ?

Vous, je sais pas. Mais pour moi, le premier pas vers ça, c'est la marche. Et j'ai pas si peur que ça.

--G4rF--