lundi 20 mars 2006

[C]ontrat [P]érave d'[E]ntrée

Fond sonore : Les Wampas - Chirac en prison

       Aaaaah, ça faisait longtemps que je ne m'étais pas laissé aller à pousser une bonne gueulante. Hé ben, j'anticipe mon plaisir d'aujourd'hui et ça fait déjà du bien. Connaissez-vous le CPE ? Non ? Vous connaissez pas votre chance, les gars. Moi, je suis sûr de ne jamais le connaître, et pourtant rien que d'en parler ça me flanque déjà les boules.

       Imagine.

       Un type qui tout comme moi, arrive à la fin du lycée en filière générale (je sais même pas si ça existe encore) et décroche son bac. Pas de mention, pas de super notes, rien qu'un gars ordinaire. Ou une fille. Peu importe.
              Grâce à l'indétermination qui fait force de loi en France quand on a moins de 18 ans, tout simplement parce que ça fait flipper d'entendre ses propres parents, ses proches, sa famille, la télé et les journaux nous rebattre sans arrêt les oreilles du fait que la vie est dure, qu'il n'y a pas de taff pour tout le monde, et que seule une poignée d'élus chanceux (en clair : pistonnés) aura la chance de voir se réaliser ses rêves et deviendra astronaute, pilote d'avion, prof, physicien, toubib, tandis que la majorité ira pointer à l'ANPE sans grand espoir dans des jours meilleurs, à cause de ce manque de foi involontaire en l'avenir donc, on choisit un peu au hasard la filière à suivre.
              Tu aimes les jeux vidéos ? Fais de l'informatique. Tu aimes bouquiner ? Devient prof ou instit, ou traductrice si tu es déjà trilingue. Tu aimes la thune et les baskets neuves ? Fais une école de commerce.
              On boucle ses études, et on prend goût à une certaine liberté. Première piaule. Les soirées entre potes où on se tape ses premières grosses murges. La vie. Le sexe. Les exams. Bref, ça bouge pas mal. On se surprend à croire qu'on a une porte de sortie, qu'avec une patate pareille, et toutes ses nouvelles connaissances accumulées, on arrivera bien à faire son trou. Avec les potes, on fait des plans de boîte, on discute business gentiment avec un soda à la main.
              Et arrive la fin des études. Le début du taff. Officiellement.

       Quand on n'a jamais fait de stage en longue durée, on déchante très, très vite. La vie d'entreprise et les pratiques de travail ne correspondent que très peu aux enseignements qu'on a reçu. Forcément : on t'apprend le cas d'école, le cas parfait, bref celui qui coûte cher et qui n'arrive jamais. On en chie. On commence à fainéanter. Normal : on sait parfaitement que si on se crève le cul à taffer comme des ânes dans le système où on a atterri, les mérites ne nous reviendrons pas mais offrirons un nouveau 4x4 de fonction au chef de service, nous ne serons jamais augmentés, on n'aura pas de prime, pas de bonus, pas de félicitations même. Minimum requis tous les jours, cinq fois par semaine, toute l'année. Et l'année suivante on reprend.

       On croise les copains d'études, une fois de temps en temps. Ca se marie, ça vieillit. Ca se sépare, ça se rabiboche. Ca évoque avec une nostalgie non feinte le bon temps des études, où on avait l'impression d'être directement en prise avec la réalité du moment : tu taffes, tu passes, tu branles rien, on t'éjecte. Tiens, t'es pas au courant ? Ca fait trois mois que Machine a plus de boulot. Ils ont délocalisé en Inde. Ouais, c'est rude, heureusement qu'elle a ses parents parce qu'en plus, avec son mec qui l'a largué, t'imagine si c'est la fête. Dingue, hein...

       Imagine aujourd'hui.

       Le même gars. La même fille. Les mêmes études. Et un CPE à la sortie. Les avantages pour le logement ? Mais qu'est-ce qu'on s'en branle, de ça, même les plus manchots des gens qui bossent finissent par trouver à se loger ! Il suffit simplement qu'on les paie correctement, c'est-à-dire suffisamment pour pouvoir trouver un proprio pas trop bâtard qui accepte de prendre un petit risque en te filant une chambre de bonne de crevard pour 600 Euros mensuels.               Les autres petits gadgets du CPE ? Le droit à la formation, les garanties bancaires, tout ça c'est peanuts. Un banquier sera toujours ravi de t'endetter un maximum. Et la formation, de toutes façons, ça n'a jamais garanti quoi que ce soit. J'ai des potes graphistes à qui on a proposé des formations de plâtrier. Top adéquation. Ils ont fait comme tout le monde : ils ont cherché sur Internet, l'ANPE c'est trop de la merde et tout le monde le sait.

       Le CPE et ses deux ans de siège éjectable. Pourquoi donner ce pouvoir aux patrons ? Est-ce qu'un petit patron de PME a besoin de deux ans pour savoir si tu conviens dans ton job ? Ou bien est-ce que trois semaines lui suffisent à faire le tri entre les guignols et les autres, ce qui serait plus réaliste ?
              Est-ce qu'on ne se gourrerait pas de cible en parlant des jeunes, du malaise des jeunes, du problème des jeunes, de l'emploi des jeunes, comme si être jeune c'était une maladie, comme si c'était grave et difficile et symptômatique d'être jeune. Comme si en dessous de 26 ans on était un branquignol qui ne sait rien faire. Et d'ailleurs, quand bien même ce serait le cas, pourquoi tant qu'on n'a pas eu son premier crédit sur le dos on serait inapte au boulot ? Est-ce que ce ne serait pas ce genre de problème qu'il faudrait traiter en priorité ?

       Pourquoi est-ce que c'est aussi risqué d'employer quelqu'un de qualifié, mais pas encore expérimenté ? Parce qu'il risque de faire des conneries ? Ouais. Mais Jean-Marie Messier, avec toute son expé et ses gros joujours bien chers, a aussi fait des conneries, et autrement plus graves que tout ce qu'un p'tit bonhomme qui débute peut bien occasionner en parlant pas très bien à un quelconque M. De Mesmaeker.
              Tapie, expérimenté itou : des milliers de gens au chômdu. Michelin & Co. : une boîte saine, qui se porte bien et qui licencie à tour de bras avec l'aval d'un gouvernement tacitement complice. Ca c'est de l'expérience qui vaut de l'or. Total : des profits records sur le dos de tout le pays, mais on se chie dessus quand il s'agit de leur demander de restituer quelques miettes de la grosse cagnotte qu'ils n'ont rien fait pour mériter. Desmarets, voilà un homme d'expérience qui donne un exemple sain et pousse la confiance en l'avenir.

       Mon cul, oui.

       Des gens expérimentés qui font des boulettes en millions d'euros, y'en a plein les journaux. Et à chaque fois, grâce à leur formidable compétence et leur expérience irremplaçable, y'a un nouveau millier de pauvres types qui se retrouvent sur le carreau, à manger des pâtes et du riz chaque soir et à subir les assauts inhumains d'un banquier cynique "je ne peux rien y faire" pour ne pas se faire déposséder de leur baraque.
              C'est facile, y'a qu'à se baisser. Y'en a même qui finissent ministres, des crétins galonnés dans ce genre. Ministre du gouvernement actuel, hé oui. Thierry Breton, ex-PDG de France Télécom, l'acquéreur pour une somme astronomique d'Orange et de ses dettes, une gestion pourrie, des comptes qui sentent mauvais, des employés franchement ravis qu'on leur pète leur outil de travail, une entreprise plombée. Ministre.

       Voyez-vous, l'avantage qu'il y a à être jeune, c'est qu'on a encore une chance d'apprendre après s'être planté. Moi je me suis déjà planté, j'ai déjà eu à faire face à mes erreurs. Ca n'a fait que me motiver à travailler mieux ensuite, à ne pas faire les mêmes conneries, à être plus en prise avec mon travail et à connaître mes limites.
              Je vais avoir 30 ans cette année, et je ne suis pas sûr du tout d'avoir encore la même souplesse. Je commence à être revenu de tout. Je commence à m'encroûter. Mon taff me blase, ses perspectives sont plates, je me fais chier au boulot. Du coup, je fais des conneries. Mais je m'en branle, maintenant. Je dis que c'est la faute à pas de chance, je trouve des excuses. Quand, exceptionnellement, je les assume, ma hiérarchie me reproche d'avoir été honnête et franc (ça le fait pas devant le client d'assumer son imperfection).

       Ca veut dire quoi ? Ca veut dire que l'erreur d'inexpérimenté est nécessaire, et qu'elle doit intervenir quand on est jeune. C'est en apprenant qu'on n'est ni une sous-merde, ni un super-héros qu'on peut aspirer à une forme d'équilibre, tant dans le travail que dans la vie. On passe le plus clair de sa vie au boulot, alors autant qu'il signifie quelque chose pour nous plutôt qu'être la source d'une angoisse permanente : est-ce qu'on va me virer aujourd'hui ?
              En gros, il est nécessaire de confier des responsabilités à des jeunes, de leur faire confiance, de les pousser en avant. Et pas, comme ce gros balourd de Villepin essaie de le glisser, de les scruter, de leur aménager un dispositif hasardeux pour le cas (qui va se produire systématiquement) où il y aurait une couille. C'est comme aller dans un jardin d'enfant, retirer les boulons du toboggan et rassurer les mamans à côté en leur disant qu'on a ajouté 1,5 cm d'épaisseur au revêtement de sol anti-bobo. Ca n'empêche nullement de tomber et de se faire mal. Ni d'être dégoûté à vie de ce putain de toboggan.

       Je suis ouvert au dialogue, nous dit le pépère de Matignon. Ca paraît étrange de la part d'un mec qui force son projet à coups de 49-3. Ca c'est du dialogue ? Ca c'est du débat ? Ca ressemble étrangement à cette vieille maxime policière : cogne-le d'abord, on posera les questions après. Mais bon, faisons-nous une raison (pour ceux qui ne l'auraient pas déjà fait) : Villepin n'a pas forcément la compétence nécessaire pour aborder le sujet de l'emploi. Explication : il en a toujours eu un, d'emploi. Et il en aura toujours.
              Et quand il traite le "Problème Jeune" comme une espèce de cancer qu'il faut éradiquer, on a l'impression qu'en France, on a le droit d'être enfant, puis vieux. Entre temps, pas de place pour toi mon pote. T'es variable, t'es instable, t'as pas encore choisi ton avenir, t'es pas posé sur tes rails, t'es inquiétant, t'es pas mesurable, alors je te fous une camisole et je t'emmène en voie de garage.

       Je trouve tout cela très très très triste. J'ai un copain qui kiff tout ce bordel au point de souhaiter qu'on pète encore plus de trucs. Que le feu prenne et se répande. Que Villepin et ses potes se prennent une révolution en pleine gueule. Malheureusement pour mon ami, c'est mal parti pour une révolution.
              La France se couille-mollise depuis des décennies, simplement parce qu'on l'éduque pour ça. C'est le revers de la médaille, et c'est aussi pour ça que des andouilles comme notre sémillant premier sinistre n'arriveront jamais à rien. Faut pas espérer que la populace accepte de prendre des risques vitaux quand tu as tout fait depuis vingt ans, toi et ton parti de nabots, pour les convaincre qu'il fallait avoir peur de l'avenir.

       On vit dans un pays formidable, dans une époque formidable. On a quand même une nation où un juge peut refuser d'ouvrir un dossier de surendettement à une famille parce qu'ils ont choisi d'avoir un deuxième enfant. On est capable, ici, de refuser de comprendre que dans ce monde de requins y'ait des gens pas assez malins pour éviter les morsures, mais qu'ils aient quand même le droit de vivre et de croire en leur avenir en se perpétuant.

       On vit une époque formidable. J'attends la suite des conneries gouvernementales avec impatience. Mais je veux quand même adresser ici un message aux CRS, aux keufs, aux gendarmes mobiles voire même aux bourrins du RAID. Après tout, ils dégustent grave en ce moment.
              Messieurs (et mesdames), je ne vous en veux pas. Les jeunes ne vous en veulent pas. Vous êtes simplement pris entre le marteau et l'enclume. A force de vous faire rentrer dans le crâne, depuis votre CAP option boum-boum-la-guerre, que vous êtes la loi et l'ordre, vous finissez par y croire. C'est naturel. Le lavage de cerveau, ça fonctionne comme ça.
              Vous avez l'illusion de faire partie d'une équipe soudée, d'avoir une valeur commune parce que vous portez les mêmes fringues de branquignol à la Robocop. Mais ça ne vous empêche pas de vous chier dessus, tous, individuellement, quand vous êtes douze derrière vos boucliers face à dix mille manifestants passablement échauffés par les saloperies qu'on leur impose.
              Ils ne vous en veulent pas. Simplement, vous êtes là. En cherchant bien, on s'apercevrait vite que vous avez sûrement de la famille et des proches qui sont en train de vous balancer des canettes vides et des barrières de sécu. Vous n'êtes jamais entré à la Sorbonne, jamais de votre vie ne vous viendrait l'idée de vous glisser à l'intérieur pour suivre un cours de littérature ou de politique (y'en a où tu peux entrer librement, personne ne te fera chier). Mais vous êtes là, quand même, planté à la "défendre".
              Sachez-le, pandores et flics, vous ne servez à rien, là. Il suffirait d'imaginer de mettre à votre place un Villepin, un Sarkozy, un Seillière et deux ou trois chiracophiles convaincus, et vous verriez leur réaction. Comme vous, ils se chieraient dessus. Mais eux, ils assumeraient leur peur et foutraient le camp.

       En conclusion, sachez que face à vous se trouvent aussi des gens qui ont peur. Mais ils ont tellement peur qu'on leur baise leur futur qu'ils sont venus jusque là et ont bravé individuellement la peur de prendre des coups. Auriez-vous, vous-même, messieurs les manieurs de matraque, les lacrymophiles, les flashballeurs, suffisamment de force de conviction pour faire de même ?

-G4rF-

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