lundi 7 novembre 2005

The roof is on fire

Fond sonore : Bloodhound gang - Fire water burn

       Savez-vous ce que j'aime dans ce pays ? Non, je veux dire, ce que j'aime vraiment ? C'est simple : tout le monde est champion du monde pour identifier la source des malheurs de ses semblables, mais personne ne se bouge le cul d'un centimètre pour aller donner un coup de main, mettre en place une solution, et surtout faire face à ses responsabilités.
       Alors qu'autour de nous des bandes de crétins s'imaginent jouer à la guerre et faire des actes héroïques de révolution efficace en foutant le feu (quel exploit) à des voitures, des poubelles, des Saint-Maclou, des entrepôts, des autobus, bref que des trucs vraiment indispensables à l'équilibre de ce pays et sur lesquels reposent les fondements de nos institutions, je vous propose aujourd'hui plusieurs axes de réflexion et quelques solutions à envisager pour, par exemple, savoir appeler un chat un chat, savoir assumer ses propres conneries et savoir faire la différence entre l'outrage ressenti par les familles entassées à 24 dans un F3 depuis 20 ans et la colère bidonnée des fils de famille qui s'habillent en caillera pour pas se taper la honte entre deux giclées de SMS et une soirée Star Académerde (putain, dire que Madonna y passe... décidément, les années 80 sont bel et bien mortes).
       Par exemple, quand on voit une voiture qui brûle, on la filme. Et on la passe à une heure de grande écoute. Intérêt de la manoeuvre ? Nul. Tout le monde sait déjà que c'est la zone dans certains coins, et que même s'il s'agit des agissements d'une ridicule minorité, ça fait chier un maximum de personnes. Mais ça permet de parler d'autre chose que de la guerre larvée en Irak dont tout le monde se branle puisque tous les Français sont d'accord pour dire que c'est à l'ONU et pas à Bush d'aller jouer les gendarmes du monde. Et pis ça fait marcher l'insécurité. C'est bien, ça, l'insécurité, ça fait voter Chirac et Le Pen, c'est super top tendance comme sujet. Une réaction entendue pendant une émission d'"Arrêt sur Image" sur F5 : à Strasbourg, pour faire descendre la tendance à flamber des voitures pour la Saint Sylvestre, on filme plutôt les voitures éteintes. Message passé chez TF1 ? Naaaaaaan, y'a des limites à la vente de temps de cerveau, quand même.
              Et qu'est-ce qui pousse Françoise Laborde à dire que les deux gamins qui ont clamsé dans le transfo l'ont été à la suite d'un crambriolage alors que l'information a été officiellement démentie dès le début de la journée ? L'habitude de baver sur les beurs qu'ont tous les journaleux télévisuels ? Non ? Mais alors, si elle est capable de manger son chapeau à Arrêt sur Image, pourquoi ne le fait-elle pas officiellement, en direct, le lendemain, en plein JT ?
       Voilà une solution pour calmer les esprits qui ne cherchent qu'une occasion pour partir en vrille : forcer les journalistes qui ont dit des conneries à s'excuser à l'antenne. TF1 ne le fait pas. La preuve, PPDA présente toujours le JT malgré son interview bidonnée de Fidel Castro. France 2 ? J'attends encore les excuses publiques de Françoise. M6 ? Jamais. En tout cas, rien depuis que Serge Molitor et son clin d'oeil facétieux ont disparu de l'écran. LCI ? iTélé ? CNN ? Que dalle. La presse écrite a un devoir de vérité. Pourquoi pas la presse poubelle ? Euh, la presse télé ? Voilà qui ferait avancer les choses.

       Question connexe : pourquoi des gamins de banlieue courent-ils quand il y a des flics dans les parages ? Parce que ce sont des voleurs ? Ou parce que les flics sont flippants ? Anecdote vécue : pendant mes études d'ingénieur, nous avons fait une chouette balade à travers la France pour visiter les locaux de l'ONU à Genève. Départ en bus d'Orsay pour toute la promo, sauf moi et trois potes qui ne rentrions pas dans le bouzin. On a fait le voyage en caisse, la caisse du papa de Lamine (coucou en passant, mon Lam's !). Et on a presque tous conduit à un moment ou l'autre. A votre avis, à quelle occasion est-ce que la douane volante nous a arrêtés et fouillés ? Quand un gentil Blanc conduisait ? Ou quand Lamine, major de promo fortement sympathique mais tragiquement pour l'occasion affublé d'une tête ni tout à fait berrichonne ni franchement bretonne mais complètement beuresque, était au volant ?
              Ce jour-là j'ai découvert ce qu'était la douane volante. J'ai aussi découvert le racisme ordinaire. Quelques années plus tard, mon ami BleZzZ me trouait littéralement le fondement en m'expliquant que, pigiste pour une agence de comm' (pour ne pas dire une société de publicité et de réclame, ou un afficheur casse-couille), il travaillait avec un directeur artistique à la peau pas franchement ivoirine mais plutôt ivoirienne sur une plaquette pour une banque quelconque. On lui dit "mets des gens là, et là, et là". BleZzZ, plutôt ouvert d'esprit, ne se pose pas de question : il met du blanc, du noir, du jaune, bref il ne manquait que le fils de Sitting Bull et un ou deux martiens pour faire Benetton. Et là, son D.A. black dit : "non, enlève ça, ne mets que des blancs".
              C'est à cette occasion que j'ai découvert le racisme sous-jacent.
              Et encore aujourd'hui, je constate autour de moi très très peu de pubs avec des noirs, ou avec des asiats, et je ne crois pas me souvenir d'une seule pub avec des beurs. Pourtant, la France est pleine de français pas blancs. Le melting-pot, il est là, chez nous. Y'a des Loussa, des Brahim, des Safwann, des Farid, des Fatima, des Marcel, des Saint-Cyr, des Minh, et j'en oublie. Partout. Dans ton métro, dans la voiture devant toi, sur la plage de tes vacances, derrière les logiciels de ta machine et tenant le balai qui nettoie tes couloirs. Mixing the colours, chante Iggy Pop. Ca donne des choses mignonnes, genre Noémie Lenoir, ou Noam (c'est le fiston de BleZzZ et May, un ptit bout d'homme grand comme ça et franchement adorable). Du joli, quoi.

       Encore une solution pour arrêter de se regarder en chiens de faïence : se regarder, tout court. Je veux voir des pubs de lessive avec une arabe qui vante Skip Machine. Je veux voir des enfants asiatiques en train de manger des Kinder Pingui. Je veux des plaquettes de produits d'assurance-vie avec des couples "hors norme" : des noirs, des rouges, des jaunes, des bleus (pas des M&Ms, hein !), des homos, des hétéros, des trans, des handicapés, des aveugles, des sourds, des gens, quoi ! Je veux voir des pubs Aubade avec des beurettes ! Je veux que l'image ressemble au réel !

       Un collègue de travail qui habite Bondy me dit qu'en fait, les "événements" actuels sont très circonscrits, et que les médias portent leur part de responsabilité dans la multiplication des feux de voiture. Je suis d'accord. En ce moment, qui t'écoute quand tu te plains ? On te cambriole : ta plainte sera classée. Tu habites à 10 000 dans un placard, tu te plains : fin de non recevoir, y'en a d'autres qui n'ont pas de toit. Tu as faim, tu veux de la thune : t'es en fin de droit, ta plainte tu te la carres où le soleil ne brille jamais. Montre des images de villes qui flambent, et tout le monde, jusqu'au dernier connard boursouflé de haine pour ce pays de cons où personne ne l'écoute et où personne n'a de temps ni de moyen pour l'aider à souffler un peu, se sent autorisé à foutre le feu à tout et tout le monde pour libérer sa haine.
              Question : comment on arrive-t-on là ? Quelle est la proportion des gens vraiment malheureux qui vont aller dépenser cinq euros d'essence à la pompe pour se faire un cocktail Molotov et brûler la voiture du voisin parce qu'ils en sont jaloux ? Quelle est la part des propriétaires d'entreprises qui vont profiter de ce merdier pour foutre le feu à leur stock et toucher l'assurance ? Quelle est la part des connards qui foutent le feu à leur école parce qu'ils se sont fait virer à force de ne rien foutre ? Et face à tous ceux-là, combien rongent leur frein depuis des années, en espérant que la vie prenne un peu plus de couleur et les sortent du gris et sont systématiquement déçus par les promesses télévisées ?
       Arrêtons de clamer qu'il faut une belle voiture pour estimer avoir réussi. Arrêtons de dire que si t'as un C.A.P., t'es une merde et tu n'avanceras jamais. Arrêtons de dire qu'un type en costard en vaut quinze en bleu de travail. Ma conviction personnelle est qu'on peut estimer avoir réussi quand on peut jouir avec tranquillité du fruit de son travail, et qu'aucun balayeur d'aucune ruelle sordide de n'importe quelle cité n'a à rougir de son métier. Michael, un ancien pote de chez Matra, avait bossé comme stagiaire dans une cimenterie où taffait son père. Et pendant deux mois, il avait balayé. Y'en a de la poussière, dans une cimenterie. Et bien, tenez-vous bien, balayer correctement ça s'apprend. Et c'est pas facile. C'est physique, de balayer. C'est dur. Seriez-vous capable de vous arrêter dans la rue, de vous tenir debout face à l'homme en vert qui balaye les merdes de votre chien du trottoir vers le caniveau et de lui dire : "j'apprécie ce que vous faîtes ?". Non. Et c'est pour ça que ça merde.
              Une solution : faites l'effort de vous mettre dans les baskets de ceux que vous avez en face de vous, et dites-vous qu'ils ne font pas un métier de con, mais un métier difficile. Et ça, ça se respecte.
              Autre solution : quand on fait une promesse à un malheureux, on la tient. Personne ne se révolte en apprenant qu'on coupe systématiquement dans les crédits de logement et de prévention des banlieues chaudes depuis des années, mais tout le monde hurle à la trahison quand sur 500 millions de dollars promis au Cachemire après le tremblement de terre, il n'y en a même pas 10% qui ont été versés. Ne pas se foutre de la gueule des gens est encore la meilleure méthode connue pour qu'ils ne vous collent pas leur poing dans la figure.

       Ce que je suggère, pour changer les choses, c'est de démontrer, par A + B, à tous les désoeuvrés débilisés qui incendient des bagnoles et des commerces pour passer le temps, que le monde qui les entoure n'en a pas rien à foutre de leur existence. Qu'il y a un futur pour les gamins qui n'en peuvent plus, à l'âge où on veut changer le monde, de devoir s'entasser dans les mouroirs bétonnés des barres d'immeubles décrépies à l'heure de dormir dans une promiscuité étouffante, et que ce futur n'est pas nécessairement la défonce et la destruction. Au lieu d'aller les chercher et de leur faire des ponts d'or pour les intégrer "de force" dans les structures d'élite et laisser tous leurs potes et leurs compagnons d'infortune surnager dans leur merde (je fais référence à une proposition d'Yves Jégo, député de Montereau*), que la société dans laquelle ils vivent reconnaisse leurs mérites. Pourquoi ne pas installer une annexe de Polytechnique à la Courneuve ? Pourquoi pas Centrale et Normale Sup' à Aubervilliers ? Pourquoi ne pas installer Hewlett Packard à Saint Denis ? Pourquoi pas Vaux-en-Velin-Antipolis ?
              Les travailleurs sont là. La volonté de bosser est là. L'énergie est là. Le pognon y viendra. Que manque-t-il, alors ?
-G4rF-
       *au sujet de Montereau, où j'ai eu le malheur d'aller traîner mes basques, je tiens à préciser quelques trucs. Il s'agit d'une très vieille ville, au confluent de la petite Seine et de l'Yonne. La vieille ville est en bas, construite autour des fleuves. La cité, Surville, a été construite sur les hauteurs, et domine de façon très moche le paysage. Si vous êtes venu du Sud à Paris par le TGV, c'est la première "borne kilométrique" qui vous indique que vous approchez à grand pas de la capitale. Depuis quelques années, des efforts sont entrepris pour flinguer cette immondice et en faire un endroit décent pour vivre. Mais sachant que tout ce qui a été trouvé pour reloger les habitants des frites de béton qui sont géographiquement franchement à l'écart de la ville, c'est de faire des plus petits bâtiments... juste à côté des grandes frites. C'est à dire toujours à l'écart de la ville. Je pense pas qu'il faille sortir de Sciences-Po pour pouvoir conclure : ça craint.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Comme toujours... je revisite ce blog... encore et toujours sensible à l'ambiance qui y règne, à cette réaliste acidité aigüe de ton regard.
Bon sens hurlant un silence pour le monde.
A tel point que je me demande parfois s'il n'y aurait pas moyen de hacker les sites officiels des Ministères pour virer (ou mettre de côté) leur page principale (en jargon d'informaticien, défacer, quoi !!) et juste laisser un message : "Ceci n'est pas l'oeuvre d'un hacker. Juste d'un mec dégoûté que vous n'alliez pas lire plus régulièrement le site http://g4rf.blogspot.com et que vous ne vous en inspiriez pas plus pour votre politique au lieu de sortir des lois à la con censées réduire la fracture sociale mais qui sont parfaitement inutiles puisqu'ignorées de toute cette fracture sociale justement..." *
G4rF, je n'ai qu'un mot pour toi : grandiose...



* Bon, ok, en dessous j'ajouterai une petite référence : "mais par contre si vous avez b'soin d'un expert sécurité pour vos sites, hésitez pas à me contacter!" ^^