mardi 20 mars 2007

Le bal des casse-pieds

Fond sonore : Oldelaf & Monsieur D - Avant

     C'est parti. Et y'en a pour un moment.

     Inutile de le préciser, je fais ici allusion volontairement (notamment via le titre de cet article) à la grande valse électorale dont ce que nous avons subi pour l'instant n'était que l'échauffement. Ca fait un bout de temps que je n'avais pas bloggé.

     Les raisons en sont multiples : j'ai peu de temps pour moi, mon boulot m'occupe pas mal, le temps qu'il me reste est partagé entre ma fille, ma femme, mes loisirs, dont pas mal de lecture. Presque tous mes week-ends sont bouffés par les visites que j'organise pour trouver un acquéreur sérieux pour mon bateau, ce qui malheureusement ne court pas les rues. C'est d'ailleurs plutôt dur de garder le moral, après avoir constaté l'échec de mon beau projet d'habiter sur l'eau parce que je m'y suis pris comme un manche, de devoir traîner encore et encore comme un boulet ce qui constitue de façon flagrante la preuve de mon foirage. J'aimerais bien que quelqu'un de mieux préparé que moi reprenne cette petite chose pour en faire ce que je ne suis pas parvenu à réaliser : un vrai habitat, bien foutu, agréable à vivre. Ca m'apprendra à me lancer sans préparation dans des projets délicats. Enfin au moins tous les plans foirasses et les emmerdements que j'ai subi de plein fouet seront épargnés au suivant. Ce sera ma bonne action de 2007 : je passe le témoin, mais je donne aussi mon savoir chèrement acquis.
     Enfin, je m'égare. J'ai été très occupé. Et bien qu'ayant des choses à dire, je manquais du temps et du discernement nécessaire pour ne pas aligner trop de banalités.
     Aujourd'hui, j'ai un peu des deux. Alors je vais encore pousser une gueulante.

     Ma nature profonde, et ma volonté profonde, est de vivre dans un monde où personne ne peut vous chier dessus en toute impunité et vous laisser dans la mouise sous prétexte que "c'est pas mon blème". De la même manière que mon chantier naval m'a traité comme de la daube en me faisant poireauter 6 semaines pour me livrer mon groupe électrogène (en carottant le trousseau de clé, heureusement que je suis bricoleur, j'ai pu remplacer les serrures), bien souvent le pékin moyen habitant ce pays d'amertume est confronté à la médiocrité banale du prochain dont il dépend. Parce que le type qui est en face de vous a déjà ses problèmes, il ne se préoccupe pas de soulager les vôtres alors même que c'est son métier et que c'est pour ça que vous le payez.

     Je pense qu'on peut trouver plusieurs causes profondes à la morosité ambiante. D'abord, la France devient de plus en plus un pays de castes.

     La caste des SDF, nos intouchables à nous, qu'on ne voit pas, qu'on ne regarde pas dans les yeux, dont on veut bien parler et plaindre la misère mais pas en leur présence parce que ce n'est pas convenable. Combien sont-ils ? Mystère. Demandez au SAMU social, multipliez par 10 ou 20, on arrivera pas trop loin de la réalité.
     Au dessus, la caste des chômeurs, ces affreux assistés qui pompent tout notre pognon si l'on écoute les plus étroits des esprits qui s'expriment. Ceux-là en chient d'autant plus que chaque semaine passée sans travail est vue par les employeurs et par la populace comme une tare, une faute faite exprès, comme si les délocalisés avaient choisi de perdre leur taff et de passer leur vie à courir après des formulaires et des reclassements pipo en croisant les doigts pour ne pas être recalculé ou radiés parce qu'il manque un point là, là et là, et une coche dans la case, ici, au dos du formulaire A28 modifié Z. Combien sont-ils ? Suivant le caractère officiel ou non et prochainement candidat à la présidence ou non des sources, ça varie grave. De 2 millions à 7 millions. Ca fait du monde qui n'a aucune visibilité et aucune espèce de maîtrise sur son avenir, et qui s'endort chaque nuit en espérant avoir toujours de quoi donner à manger aux enfants le lendemain.

     Au dessus, la caste des employés. On peut parler de prolétariat. Suivant qu'ils soient de la vieille école ou qu'ils aient moins de 35 ans, leurs difficultés sont vécues différemment. Les anciens ont été élevés et éduqués avec à l'esprit la constance de l'emploi, l'indignité d'être inactif et la juste récompense du travail bien fait par le patron sévère mais magnanime. Pauvres d'eux, qui doivent maintenant faire des piquets de grève le week-end devant les grilles de l'usine pour ne pas qu'on déménage leurs machines comme des voleurs dans un pays à moins cher.
Ceux de la nouvelle génération savent qu'ils ont tout intérêt à balancer aux orties les valeurs de leurs parents.
     Etre fidèle à son entreprise, c'est la meilleure manière de ne jamais être récompensé pour son travail : on est plus vite augmenté en changeant de boîte pour un meilleur taff qu'en restant sur place. Et pourtant, qu'est-ce qu'ils aimeraient pouvoir se sentir à l'abri dans leur boîte à partir du moment où ils font ce qu'on leur demande... mais ce n'est plus comme ça que ça fonctionne. Combien sont-ils ? La majorité.
 
     Au dessus, les cadres, qu'on pourrait assimiler aux petits bourgeois. J'en suis. J'ai accès à énormément d'outils et de ressources pour faire mon travail et éventuellement des loisirs, je gagne confortablement ma vie mais j'ai tout de même l'impression de ne rien pouvoir construire, ou alors au prix d'un effort sans commune mesure avec la valeur réelle de ce que j'entreprends (j'ai en tête le pognon que ça coûte d'acheter une baraque ou même une petite piaule : quand on a moins de 30 mètres carrés pour l'équivalent d'un million de francs, c'est qu'il y a un problème). Je n'ai droit à aucune réduction, je suis obligé de consacrer une part importante de mes revenus pour payer la garde de ma fille que je ne peux pas élever moi-même parce que mon travail me bouffe trop de temps, bref au final, j'ai bien peu de temps disponible pour dépenser le surplus de ce que je gagne par rapport à la moyenne de la population, et quand je le dépense, ma conscience me rappelle que la seule différence entre moi et le balayeur dehors, c'est que moi j'ai eu toutes les portes ouvertes et les ressources de mes parents pour me payer des études.
     Sinon, je ne suis ni plus intelligent ni plus con que lui. Il pourrait même m'en remontrer autant sur l'art de faire son boulot que moi avec l'art de faire le mien. Combien sont-ils ? Au pif, je dirais 10% de la population.

     Au dessus, les riches. On peut dire les grands bourgeois. Bien nés, bien introduits, la plupart du temps ils doivent leur fortune au fait d'avoir été soutenu par papa et maman, ou d'avoir été pistonnés. Quelques self-made men traînent dans la bande (bien peu de self-made women), qui hélas finiront souvent par dire que s'ils ont "réussi", tout le monde peut "réussir". C'est faux : être parvenu à gagner du pognon ne fait de personne un héros, et ne justifie pas de donner des leçons à ceux qui n'en ont pas. Le pays n'est pas assez riche pour faire de nous tous des milliardaires. Et de toutes façons, qui voudrait être riche comme machin ? Personne : tout le monde veut être plus riche que machin.
     Suffisamment fortunés pour pouvoir s'offrir l'expertise de comptables astucieux et de fiscalistes bien rencardés, les riches s'aperçoivent rarement que leur statut s'auto-entretient. Car, c'est tristement vrai, on ne prête qu'à ceux qui n'en ont pas vraiment besoin. Vous êtes millionaire ? Votre banquier ne vous demandera jamais pourquoi vous voulez emprunter 50 000 Euros. Alors qu'il pourrait se demander si vous ne pouvez pas les sortir de votre propre poche. C'est ainsi : pour ne pas perdre les bonnes grâces des gens fortunés, on leur passe tout, y compris des absurdités.
Combien de riches ici ? Quelques dizaines de milliers.

     Au dessus, les droits-divins. Ultra-riches. Ultra-protégés. Riches d'argent ou riches de pouvoir, ils sont intouchables, disposent de la vraie et l'ultime richesse : des carnets d'adresses bien remplis de créanciers, de relations bien placées, de fusibles éventuels qui sauteront à leur place. Combien sont-ils ? Quelques poignées.

     Et dans ce système de caste, ceux du dessus régentent la vie de ceux du dessous, mais les croisent rarement. Et pourtant, le système républicain est conçu pour assurer le pouvoir du plus grand nombre. La base de la pyramide devrait tenir en respect son sommet. Mais, écrasée par le poids des privilèges, des passe-droits, du crédit excessif de confiance et de respect qu'on accorde à ceux qui n'ont jamais à mettre les pieds dans la fange, la base se laisse engourdir et subit sans trop savoir comment changer les choses cet état de fait. Ceux du dessous sont éduqués à ne pas se rebeller, à ne pas faire entendre leur voix. Ceux du dessous peuvent bien crier, hurler, tempêter contre leur condition : ceux d'au-dessus ont compris depuis longtemps qu'il suffit de faire semblant d'écouter, de promettre de revenir un an après avec des solutions. Entre temps, les problèmes quotidiens aidant, ceux du dessous doivent faire face et laissent sombrer leurs doléances en attendant la prochaine fois où ils donneront de la voix.

     Que faire ? Et que faire face à ces problèmes, alors même que se dessine devant nous une échéance particulière car il s'agit d'un de ces cas de conscience où l'on peut choisir d'y croire ou pas. Peut-on croire sincèrement Sarkozy si l'on porte un oeil objectif sur son bilan ? Peut-on croire Ségolène quand le chiffrage de son programme semble nous condamner à creuser encore un peu plus un déficit budgétaire abyssal ? Peut-on croire Bayrou quand on sait que rares sont les politiciens ayant fait leur mea culpa et qui ont ensuite tenus leurs bonnes résolutions, et quand bien même ils les tiendrait, que les partis politiques de tous bords sont tellement pétris de suffisance et de mépris pour le bas-peuple qu'ils préfèrent paralyser le pays par l'opposition systématique plutôt que faire acte de civisme et agir constructivement ?

     Peut-on sensément faire confiance à Le Pen suffisamment pour lui confier le commandement de la dissuasion nucléaire française ? Peut-on confier à Laguiller la politique internationale du pays ? Nihous saura-t-il annuler la dette de l'Afrique et imposer le moratoire sur la chasse à la baleine ? Besancenot évitera-t-il un krach boursier s'il est élu ?
     Très franchement, pour briser cette logique de caste et rétablir l'équilibre entre ceux qui ont les moyens et ceux qui les subissent, je m'interroge. J'ai envie de voter très à gauche, mais aucun candidat ne me paraît crédible. Je ne peux que m'opposer sur le fond aux principes de révolution sans douceur prônés par les plus radicaux, car une bonne partie de la population vit modestement de la seule existence de l'Appareil, et que le détruire ce serait les détruire aussi. Mais un vote de protestation, c'est le risque de refaire se produire le 21 Avril 2002. Et voter pour choisir un président, ce n'est pas seulement voter pour sa petite gueule à soi et ses petits pépins à soi, c'est voter pour le bien de tous ceux qui vous entourent, même ceux qui pensent autrement que vous. On vote pour les autres aussi.

     Je disais qu'à mon avis le trouble actuel trouve sa source dans plusieurs trous noirs. Le premier est l'existence des castes. Le deuxième est l'aggressivité générale qui règne par chez nous du fait même du manque de moyen ressenti partout.
     Exemple : mon amende que j'ai dû payer 2 fois. En Août 2005, j'ai fait un excès de vitesse. Flashé à 118 km/h sur autoroute au lieu de 110. Amende payée quand elle m'est parvenue : 45 €. Chèque encaissé dans les 10 jours. Un rappel de paiement m'est parvenu après avoir posté mon chèque : j'ignore. Je vérifie : mon chèque est débité : fin de l'histoire. Janvier 2007 : opposition administrative sur mon compte en banque. Ma thune a été palpée, mais personne ne s'est donné la peine de le noter. Pour éviter de payer à ma banque 90 Euros pour libérer mon fric du verrou de l'Etat, je suis obligé de payer une 2ème fois mon amende.

     Pourquoi cette histoire ? Parce que si les finances du pays étaient en meilleur état, pensez-vous que ce genre de conneries arriverait ? Pensez-vous que la connasse d'employée bornée au bout du fil qui, malgré la preuve de la connerie qu'ils avaient faites, m'a tout de même forcé à payer (présomption d'innocence, un jour j'aimerais te rencontrer), aurait reçu des instructions pour agir de la sorte au lieu de battre en retraite et s'excuser comme elle devait (et doit toujours, bordel) le faire ?
     Pensez-vous que le fisc serait aussi agressif, que les agents verbaliseraient à tour de bras, que vous seriez en permanence dans un climat de suspicion si on en voulait moins à votre pognon ? Et par extension, seriez-vous aussi tendu face aux gens qui resquillent, aussi implacables avec ceux qui fraudent, aussi intraitables avec ceux qui niquent le système si vous-même ne subissiez pas toute la violence dudit système en espérant y échapper ?

     Tous ceux qui jouent au Loto ou à EuroMillions dès que la cagnotte monte le vivent semblablement : l'espoir de plus de blé pour régler toutes vos dettes et qu'enfin la vie vous apporte ce que vous souhaitez. Le calme. Le repos. L'absence de stress. La liberté de consacrer votre énergie à ce qui vous plait vraiment, ce que vous voulez vraiment faire.
     Un très bon indicateur des finances d'un pays : la thune allouée à la création artistique. Jamais été aussi faible en France. Les intermittents ont raison de gueuler, comme ils ont toujours eu raison de le faire.
     Et tous ceux qui réclament un meilleur partage des richesses ont raison de le faire. En se souvenant, bien sûr, que même un Smicard français, même un RMIste reste, de par ses ressources, dans la frange la plus riche de la population mondiale, et donc qu'un jour lui-même sera amené à donner.

     On pourrait se dire que c'est en train d'avoir lieu avec les délocalisations : le travail (donc le blé) sont en train de repartir là où les gens sont pauvres. Ca rééquilibre, non ? Mais c'est un non-sens. S'il s'agissait de vases communicants, la thune sortirait d'abord de là où elle est la plus massivement accumulée. De chez les super-friqués. Ce n'est pas le cas. Il n'y a jamais eu autant de millionaires, ni de milliardaires en France. Conclusion : c'est le système des castes qui est en train de se généraliser, de se mondialiser.
     Contre tout cela, il faut lutter. Contre la rupture entre différentes couches de population. Contre la loi du fric contre la loi du nombre, à échelle française et à échelle mondiale. Contre la supériorité artificielle de ceux que la vie a favorisé, et qui font semblant de ne pas s'en souvenir, à échelle française et à échelle mondiale. Et contre tout cela, lequel de nos fringants candidats aura-t-il les coudées assez franches pour agir ?

     Pour l'instant, je sèche. Ce sera sûrement pas à droite, parce que je ne peux pas envisager d'accorder ma confiance à des gens qui mentent aussi effrontément sur leur bilan. Sera-ce à gauche ? Ou bien tenterai-je le coup de poker Bayrou, bien que je trouve ses positions sur la Turquie, la beuh et le mariage gay complètement à l'Ouest et qu'à mon sens il risque encore plus vite que les autres d'agir pour sa gueule avant d'agir pour mes concitoyens ?

     Je sais pas. Putain, je sais pas. Par contre, je sais que je vais voter. Si les votes blancs étaient comptabilisés, je sais ce que je voterai. Mais là... putain, j'en sais rien. Et si y'a bien un truc que je veux faire, c'est ne pas me gourrer. Mais si j'aborde cette élection avec ces interrogations, c'est que comme tout un chacun je les aborde en future victime de désillusion que je refuse d'être, mais que je serai à tout coup. C'est pas du fatalisme, c'est juste de l'expérience. Et ça, plus que tout, ça me fout les boules.

-G4rF-

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