jeudi 26 mai 2005

Référendons

Fond sonore : Indochine - Un singe en hiver

       Distrayons-nous quelques instants des propos de nos chers tronches publiques (je vous recommande de regarder le spot télé de Pasqua, c'est du plus haut comique, genre troupier de base), et prenons quelques instants pour considérer sans passion le lendemain du référendum, sur la seule base des infos minimales qu'on arrive à en comprendre en faisant le tri parmi les élucubrations des publics susnommés.
              Si le oui passe, qu'est-ce qu'il se passe ? Il paraît que le traité reprend le traité de Nice, en y rajoutant une couche (les deux premiers chapitres) qui donnent à ce tas d'articles indigeste un air de constitution. Donc, pour la vie de tous les jours de Monsieur Tout-Le-Monde, qu'est-ce qui va changer ?
              Rien. Nous serons toujours aussi peu satisfaits de notre condition, il y aura toujours autant de miséreux dans nos parages, toujours autant de bagnoles puantes sur nos autoroutes, l'essence continuera à être de plus en plus chère et les énergies alternatives seront toujours aussi peu soutenues. On aura toujours l'impression de se faire enculer quand on paie la CSG sur notre salaire, puis une deuxième fois dans nos impôts sur le revenu (pour ceux d'entre nous qui peuvent se payer le luxe d'être imposables).
              Les vacances sembleront toujours aussi loin, le chômage sera toujours aussi humiliant, le service public continuera à perdre son "r" pour se confirmer en tant que sévice public. Le baron Seillière continuera à braire comme un âne et à jouer les épouvantails de pacotille pendant qu'on discute ferme et qu'on nique sèchement les moins bien servis dans les hautes sphères de la finance et de l'entreprenariat mondialiste.
              Il y aura toujours aussi peu de HLM à Neuilly. Et toujours autant de flics pour virer les musiciens à minuit le jour de la fête de la musique. Les navires continueront à dégazer au large de Brest, quelques pétroliers viendront faire un nappage au mazout lourd sur les côtes abruptes du littoral Atlantique. Les flics seront trop occupés à nous sarkozer des lycéens qui manifestent contre la destruction de leur avenir pour aller s'occuper d'attraper des bateaux de 400 m de long.

       La Star Academy continuera à faire miroiter un rêve de gloire facile et de faire prendre aux ados mal dans leur peau la condition de star pour un métier réel. La télé-réalité continuera à vider ses poubelles dans les salles à manger. Martin Winckler n'aura toujours pas d'explication honnête sur le motif de la censure de sa chronique radiophonique. Les labos pharmaceutiques continueront à ne rendre de compte à personne et à pisser avec volupté sur le serment d'Hippocrate tandis que l'Afrique continue à mourir de ses excès de chaleur.
              Patrick Sébastien continuera d'aller bouffer des culs dans les backrooms tendues de velour carmin des clubs privés pour riches oisifs de la capitale. Pierre Desproges nous manquera toujours. Florence Aubenas ne sera pas libérée tout de suite. Il y aura toujours aussi peu de noirs sur les prospectus de la BNP et du Crédit Agricole, ou sur les notices d'explication des déclarations d'impôt, ou dans les banques d'image des boîtes de comm'.
              Il sera toujours plus dur de faire comprendre aux gens que faire des blagues de cul, des blagues sur les mères feujs, sur les belges, sur les blondes et sur les belles-mères, c'est pas nécessairement un acte de haine politiquement incorrecte, mais la manifestation désinvolte d'une connerie libératrice, qui reste une connerie, et qui est sans conséquence.

       La politique intérieure française continuera sur le même mode que depuis une trentaine d'années, avec ses millions gâchés en travaux historiques très vite oubliés, en pots de vin, et ses vastes brassages d'air de droite, de gauche et du milieu, juste pour distraire l'attention du prolo de base afin qu'il ne se rende pas compte que si la politique ne s'exerce pas dans un mode constructif, elle ne sert qu'à se préserver elle-même.
              En terme de démocratie, nous aurons toujours autant,tous autant que nous sommes, la sensation qu'entre l'électeur européen et son représentant final, le cordon est coupé, quelque part, sans doute intentionnellement, par quelque groupe de pression malintentionné qui préserve ses intérêts au détriment de la mission de l'Europe : faire que "ça aille mieux", demain, pour tout le monde.

       Pessimiste, comme vision ? Possible. Mais drôlement plus crédible que les envolées panégyriques de tous les adeptes de ce traité, pour qui la vie va peut-être changer de couleur après le référendum, mais certainement pas pour nous.

       Et si le non l'emporte ? En partant encore une fois du peu d'info potable qu'on puisse extraire du babillage futil de nos brailleurs d'opinion, tous les pays qui ont choisi de faire ratifier le traité par voie parlementaire vont le ratifier. La France sera-t-elle seule pour autant ? Sera-t-elle exclue des mécanismes européens qu'elle a elle-même contribué à mettre en place ?
              Non. Puisque le traité, on nous l'a dit et répété, reprend les bases de l'existant.
              Alors si on dit non, tout ce qu'on a dit pour le oui restera valable. Toute cette merde nous restera dans les pompes. Mais il y a un "mais".

       Un "mais" de taille. C'est qu'au lieu d'accepter docilement et passivement le sort qu'on nous réserve et auquel je ne prétends pas qu'on puisse échapper sans renverser la boule à neige gouvernementale et secouer tous ses (flo)cons, nous aurons manifesté, par la seule voie légale qu'il nous reste, notre mécontentement du chemin qu'on nous impose.
              Que Chirac, l'homme des essais nucléaires à Mururoa, nous parle de paix et de préservation d'environnement après le "oui", ça me faire rire.
              Que Hollande, l'homme qui dit qu'on ne peut pas rejeter le traité européen parce que c'est nous qui l'avons fait, l'appuie et affirme que l'Europe sociale passe par le oui, ça me fait encore plus rire (parce que si le traité est merdique, on fait comme dit le dicton : "cent fois sur le métier, remettez votre ouvrage"). Et puis, qui a demandé à ce qu'un traité européen soit fait ? Les citoyens ? Ou est-ce que ce ne serait pas une initiative unilatérale, genre "ouais, chais pas quoi faire, on se fait un tarot ? Ou alors un traité ?"...
              Que Jospin nous la joue "j'ai pris ma retraite mais je donne encore mon avis", contredisant le peu de crédibilité qui lui restait, à lui et à son parti, et vienne défendre pied à pied un tas de papier strictement anti-constitutionnel puisqu'il impose une politique gravée dans le marbre au lieu de laisser la liberté de choix aux citoyens, ça me fait également pas mal rire.
              Que Fabius, monsieur sang contaminé, responsable mais pas coupable avec Cresson et toute leur clique, joue les leaders respectables et vienne nous faire la leçon sur les lourdes conséquences du "oui", ça me fait rire. Et je pense que les familles des victimes seront heureuses de rire avec moi.

       La seule chose positive qui ressortira à coup sûr de la situation présente, c'est le fait que le débat ait lieu. Non pas entre représentants des tendances politiques minoritaires de France (je rappelle qu'en terme d'adhérents aux partis politiques, les "grands" partis sont terriblement petits et très très très peu représentatifs du peuple), mais entre français et français, entre français et allemands, français et belges, français et anglais, français et n'importe qui passant par là et vaguement intéressé par le sujet. Ca cause vraiment, ça discute vraiment, et des opinions se forment, des opinions fortes, pas nécessairement étayées solidement parce que l'information, l'authentique, la vraie, non déformée par le prisme télévisuel et politique, on la trouve difficilement, mais des opinions quand même.

       J'ai déjà dit précédemment pourquoi je souhaite que le non l'emporte. J'ai même proposé une alternative à la constitution. Là, je ne cherche pas à convaincre, mais à expliquer simplement que la vraie bonne chose, celle qui fait avancer, c'est certainement pas qu'on pousse les gens à voter sans prendre le temps de parler avec eux du sujet du débat, de détailler tranquillement et sans hausser le ton tous les tenants et aboutissants de ce traité. Ce qui va servir, ce sur quoi je fonde un certain espoir, c'est que les gens se parlent, entre eux. J'ai personnellement eu l'occasion de parler avec des gens que je ne connaissais pas, simplement parce qu'ils causaient du traité.
              De cette façon, oui, le traité nous rapproche, ce qui est plutôt curieux à lire ici quand on connaît mon opinion dessus. Mais je vois surtout là se manifester au mieux de sa forme le principe même de la république : la discussion, l'ouverture au dialogue.
              C'est comme ça qu'on peut empêcher des guerres.
              C'est comme ça qu'on apprend l'empathie, la compassion, l'entraide, la solidarité.
              C'est comme ça qu'on fait la différence entre "réussir dans la vie" et "réussir sa vie". En causant. Alors, même si vous ne votez pas, causez ! Même pour le plus insignifiant des sujets, ce ne sera jamais du temps perdu.
              Et apprenez la langue des signes, qu'on ne laisse personne sur le bord du chemin !

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Ouaou mon Garfoufou, quel surpassage!
J'aime beaucoup ce que tu ecris, sauf que j'ai voté "oui" ...tout en me disant que la constitution est révisable "en ligne" et qu'une europe politique est indispensable...si l'on veut d'une europe, et je rajouterai, une europe forte face a la folie US. Le bémol, c'est que cette constitution est pour nous mortels, illisible et par la meme inéligible. Les politiques du "oui" et du "non" s'en sont d'ailleurs donnés a coeur joie pour interpréter a leur manière, des articles que, de toutes evidences, seule l'élite comprend. J'ai donc voté "oui" avec un gout de "mouainfff, on verra bien", ca n'a rien de glorieux, mais je fais parti des progressistes, le fait d'avancer, ne nous fait pas reculer...meme a reculon. On devrait elire une commission de révision de la constitution, elu par le peuple, pour le peuple, avec des textes compréhensibles. La constution des US ne s'est pas faite en 10 ans, pourquoi irions nous plus vite, sauf pour prouver que nous sommes plus tarés qu'eux, et donc, peu rassurant pour la vie sous toutes ses formes, qui peuple notre si chère planete...