mercredi 27 avril 2005

We're all living in America$h

Fond sonore : Massive Attack - Teardrop

     Il y avait bien longtemps que je n'avais pas laissé traîner mes idées en public. Il est temps pour moi aujourd'hui d'arrêter d'être une feignasse et de faire l'effort d'utiliser ce blog pour ce qu'il est : un haut-parleur.
Comme tous les jours, je me balade dans les news, où j'ai ma petite sélection de thèmes qui me ramènent régulièrement quelques trucs plus ou moins rigolos, qui seront au journal télé le soir même. Ces jours-ci, les gros titres portent sur l'Airbus A380, le procès du tunnel du Mont Blanc, le procès de Michael Jackson, le référendum sur le traité européen de constitution, et les trains qui font boum. Ca va être un peu décousu, mais quelle importance ?

     Personnellement, l'A380, j'en ai à peu près rien à foutre. Certes, j'ai du mal à réfréner mes pulsions masculines devant tous les nouveaux bidules qui sont plus gros, font plus de bruit, coûtent plus cher et vont plus loin que ce qu'il y avait déjà. Cela dit, je suis personnellement plus ébahi par ceci (le même en train de servir à quelque chose), à cause de sa tronche tordue, et par ça, parce que ça a volé, que par un nouveau superlatif qui vole.

     Le tunnel du Mont-Blanc, maintenant. Où l'on réalise à quel point faire transiter 5000 poids lourd chaque jour dans un tunnel pas franchement jeune et pas vraiment taillé pour ce style de service, géré par un pôle à deux têtes par des gens parfois infoutus de comprendre la langue de celui d'en face, comporte peut-être une part de risque. A vrai dire, c'est un putain de miracle qu'on ait pu faire usage de ce tunnel pendant tant d'années sans qu'une telle déferlante de morts ne s'abatte sur les usagers. Maintenant, savoir à qui la faute... Voilà un truc qui m'emmerde. Il est clairement établi que le camion a pris feu. Et que les conditions ont été telles qu'à la suite de nombreuses maladresses et diverses conneries, s'en est suivie l'hécatombe que chacun a pu voir s'étaler dans les journaux imprimés ou télédiffusés. Mais est-ce que ce n'est pas pousser trop loin le principe simple de justice que d'aller jusqu'à assigner un procès au constructeur du camion pour savoir si par hasard il ne serait pas responsable, à lui tout seul, de tout ce foutu bordel ?
     Vouloir connaître les causes de la disparition de ses proches est une revendication on ne peut plus légitime, et dans la mesure de mes moyens j'essaie de me mettre à la place de ceux pour qui la vie n'a plus de saveur depuis le 24 Mars 1999. Mais la vie est là aussi pour nous rappeler tous les jours que les concours de circonstances sont malheureusement la plupart du temps responsable du décès de ceux qui nous sont proches.
     Pourquoi le camion a-t-il pris feu ? Une histoire de mégot ? Pourquoi le chauffeur fumait-il ? Doit-on interdire de fumer au volant ? Doit-on interdire la clope tout court ? Pourquoi le camion a-t-il brûlé ? Doit-on rendre les camions résistants au feu ? Doit-on interdire le transport de matériau combustible ? Doit-on interdire les camions ? Pourquoi ce camion se trouvait-il là à ce moment ?
     La seule réponse à apporter à la problématique des catastrophes techniques est que chaque couche d'intervention humaine menant à une situation donnée est une source potentielle de risque. Quand on fait un tunnel sous une montagne, il faut l'entretenir et le surveiller attentivement. Mais ça ne l'empêchera pas de s'écrouler sur ma gueule si la nature l'exige. Quand on roule en camion sous une montagne, il faut faire très attention parce qu'un véhicule, c'est fait par un humain, et c'est conduit par un humain. Du coup, des fois, ça pète, ça brûle, ça se prend un mur. C'est la faute à quelqu'un ? Oui, assurément. Mais le savoir ne change pas grand-chose, parce que les morts restent morts. Et ils meurent toujours pour rien.
     On pourrait comme ça faire remonter la chaîne des responsabilités très haut. Ca fait des années que les habitants de la vallée en ont plein le cul du ballet incessant des 38 tonnes sous leurs fenêtres. Ca fait des années qu'on n'a pas investi les crédits suffisant pour donner au transport ferré une chance de remplir sa mission. Du coup, c'est la faute à l'état, qui n'a pas fait son travail en délestant des routes les gros camions, ce qui ferait du bien à la nature par la même occasion ? Oui. C'est aussi sa faute.
     Mais la première faute, c'est de s'imaginer qu'on peut trouver un coupable tout le temps, pour tout. Il y a une bonne raison pour laquelle un accident s'appelle un accident. C'est toujours un concours de circonstances défavorables, systématiquement émaillé de conneries et d'irresponsabilités humaines, qui mène l'un ou plusieurs d'entre nous au casse-pipe. Sans raison. Et on meurt connement. Sans raison. Comme tous ceux qui meurent chaque jour, dans leur lit ou derrière leur volant. Sans raison.
Le risque zéro n'existe pas. Le savoir, et agir en conséquence, c'est déjà s'en rapprocher un peu, de ce putain de risque zéro.

     Allez donc voir sur le Net les images des trains empilés au Japon ou au Sri Lanka. Au Japon, le train avait du retard, le conducteur n'était pas net et pas franchement expérimenté, il a pris un virage à 100 km/h au lieu des 70 maxi officiels. Une centaine de gens y sont restés, qui étaient persuadés comme tout le monde que le chemin de fer japonais est sûr, fiable et ponctuel. Sans doute cette impression aussi a-t-elle joué un rôle lorsque le conducteur a poussé la manette de l'accélérateur un peu trop loin. S'il vivait au Sri Lanka, sans doute n'aurait-il pas laissé son jugement s'obscurcir par des données se contentant de rapporter la situation à un instant précis, et n'ayant pas force de loi pour les instants suivants...
     Au Sri Lanka, après la mer qui rentre dans les terres, c'est le train qui rentre dans un bus. Passage à niveau. Le coup classique. J'imagine sans peine que la signalisation ferroviaire est plus vieille que moi, qu'elle est encore moins nette et moins en état de fonctionner, que le conducteur de train intrépide traçait comme un âne avec trois fois plus de passagers à bord qu'il n'aurait dû, et que le bus tout pourri qui a dû tomber en panne en plein milieu du passage à niveau était tellement bondé que personne n'a eu le temps de se décoincer et de sortir.
     Encore des morts sans autre raison que l'intervention humaine dans le processus. Paix à leurs âmes et à ceux qui restent seuls derrière.

     Quelques nouvelles de l'Amérique : le procès de Michael Jackson se passe très bien. Rien à branler de ce mec, rien à branler de ses accusateurs. Coupable ou non : je m'en cogne. Mais je pense que si la justice bosse aussi bien dans ce cas, avec toutes ces caméras pointées sur la tronche, que pour ce sacré vieux couillon d'O.J. Simpson, le verdict est déjà connu. Impartialité, quand tu nous tiens... Pouvoir médiatique, quand tu ne nous lâches plus...

     Parlons quelques instants du référendum sur l'Europe, histoire de finir en beauté. Vous faites ce que vous voulez. Moi, je vais voter non. J'ai suivi, même de loin, la débâcle américaine du secteur de l'énergie. La faillite d'Enron. Les black-outs électriques en Californie. L'explosion du prix de l'électricité.
     Je ne sais plus quel type assez intelligent faisait remarquer que pour qu'on puisse qualifier un produit de "marchand", il fallait être au moins capable d'en faire des stocks. Le premier mec qui arrivera à stocker 40 MW de jus dans une petite boîte gagnera le droit de m'affirmer haut et fort qu'on a tout à fait le droit de privatiser l'énergie. En attendant, je le dis haut et fort (c'est-à-dire très faiblement, vu l'audience de mon blog) : c'est une connerie. Et pas une petite, en plus. C'est une gigantesque connerie. Pensée par les technocrates avides de rentrées financières pour sauver la trésorerie des pays occidentaux des effets désastreux de leur incompétence. Pas du tout pensée pour fournir un service de meilleure qualité aux citoyens lambda. Allez donc faire voter un décret anti-coupure d'électricité si vous n'avez plus la mainmise sur ceux qui la distribuent...
     Car aujourd'hui, l'argument général, c'est de dire que la concurrence capitaliste tire la qualité des produits et services vers le haut, et les prix vers le bas. Ok. Jolie phrase. Une belle profession de foi. Mais quelque chose me dit que si j'habite en montagne, à 10 km du premier village, je continuerai à payer les mêmes impôts et à acheter ma Panda 4x4 le même prix que mon voisin, alors que ma facture d'électricité fera un joli "fois 10" par rapport à mes concitoyens plus "accessibles" et moins "difficiles à servir".
     Concurrence mon cul : le service public, c'est le service dû au public. Dû. Ca vient du verbe "devoir". Un mot qu'on oublie trop souvent, à mon goût. Tout le monde le confond avec "servitude". Mais "devoir", c'est le pendant de "droit". L'un ne va pas sans l'autre. Et je souhaite à ceux qui ne s'en rendent pas compte aujourd'hui de se prendre un putain de retour de bâton dans les dents quand ils verront leurs factures EDF dans 5 ans.
     Mais j'ai d'autres arguments pour dire niet à ce traité. D'abord, je vois pas pourquoi on vient nous bourrer le mou à dire que la France sera un mouton noir si elle dit non. La France aura donné son opinion, comme la loi l'exige, comme le projet de traité l'exige. Elle aura dit son intime conviction, et cette conviction sera qu'il faut revoir la copie. Pas plus. Pas moins. Je refuse de plier mon libre arbitre au consensus général. Comme le disait avec justesse Belmondo dans "L'as des as" : "c'est pas parce que 30 millions de personnes font la même connerie que c'est pas une connerie". Alors, libre à moi de dire que je rejette le traité dans son état actuel, parce qu'il est un ramassis illisible de plus de 500 pages de bla-bla politicard alors qu'il se vante d'être une constitution. Moi je dis, si le projet dépasse 30 pages, c'est qu'on a laissé un politicien s'en approcher de trop près. Une constitution pose des briques, instaure des fondations. Là, on commence à poser les tuiles avant même que les murs ne soient debout ! Ca donne pas envie d'habiter dedans, forcément.
     Moi, je rejette l'idée de laisser les intérêts privés (comprendre : les gens qui ont les moyens de créer des boîtes et la thune pour les faire tenir) s'occuper de la culture, de la santé, de la vie, du travail, et surtout de gérer la misère et les miséreux. Il faut avoir été au contact réel de la vraie pauvreté pour comprendre ce que c'est. C'est pour ça que l'Abbé Pierre est populaire auprès des français (60 millions de fans, tu pètes les scores de la Star Ac' ! En ces temps de crétinisme en prime time, c'est pas rien !) et que Bernard Arnault est populaire auprès des pétés de thune (60 millions d'euros de droit d'entrée au club - ils sont pas très nombreux, les fric-men, mais au moins le Nanard est sûr d'avoir des beaux cadeaux à son anniv').
     Le jour où Balladur a pris le métro est pour moi un symbole des lacunes criantes dans la connaissance de la vraie vie de nos joyeux z'élus démocratiquement élus de mille ans, car il est resté un seul et unique jour. Il ne l'a jamais repris depuis. Et faut déjà avoir des ronds pour prendre le métro. C'est le genre d'exemple qui parle, non ? Parce que nos élus, c'est ça. Pour un ou deux qui se cassent le cul à tenter de faire bouger les choses, il y en a trente amorphes et immobiles qui s'avachissent mollement dans le confort des ors de la République. Trente qui ne sauraient pas plus comment s'en sortir si on leur supprimait leurs logements de fonctions, leurs voitures de fonctions, leurs chauffeurs de fonctions, leurs frais de représentations, leurs indemnités et leurs costumes sur mesure, que les ouvriers que Michelin a bercé d'illusions sur une longue et fructueuse collaboration réciproque pendant 30 ans avant de les foutre à la porte parce que "ana de la thune, mais ana veut encore plus, alors dehors les pauvres !".
     Alors pour ça, je rejette la politique actuelle, et l'idée qu'elle est suffisamment viable pour qu'on l'inscrive en lettres d'or au fronton de l'Europe. Mon monde n'est pas une marchandise. Dans mon monde, le capital est au service de l'homme, en tout lieu et toute circonstance. Demandez-vous si c'est le cas aujourd'hui. Avec ce traité, vous serez sûr que rien ne changera. Et certainement pas la place du pognon dans la société.
     Un dernier petit mot pour convaincre les indécis : notre fringant septième ou huitième sinistre des Finances national de ce gouvernement, le jovial Thierry Breton, ex-pédégé de France Télécom et grand pourvoyeur de dettes devant l'éternel (bah oui, acheter Orange, ça coûte des sous - rigole pas, camarade, ses dettes, c'est nos impôts qui les paieront), le gai haut fonctionnaire cité plus haut a donc récemment déclaré dans le petit cube noir de ma télé "ce que je vois, c'est l'Europe, un marché de 450 millions de personnes".
     T'as tout faux, pépère. Je sais que ça te chagrine, mais non, franchement, là tu te plantes comme un orignal bourré au cidre. Tu mérites même pas de t'appeler breton, d'ailleurs, à dire des conneries pareilles. Parce que, découverte des découvertes, on n'est pas un marché. Personne va faire les emplettes des âmes ici-bas, ça c'est le boulot de Satan, dont le business marche à mort en ce moment. On n'est pas un marché. On est des peuples. Des gens. Des veaux, diront certains, mais des veaux qui sont des millions. Et tu ne feras jamais marcher un état comme une entreprise tant que les mots "res publica" auront une signification. Parce que dans une entreprise, tu dégraisses, tu épures, tu élimines, tu licencies, tu vires, tu éjectes qui tu veux. Tu peux utiliser tous les termes de vocabulaire que les dictateurs emploient quand ils décident de zigouiller de l'humain au million. Mais tu ne peux pas licencier un homme de son pays. Tu ne peux pas lui dire d'aller se faire habiter ailleurs. La thune, mon gros, la thune, elle est un moyen, et pas une fin. Quand tu l'auras compris, que tu viendras acheter ton prochain canapé chez Emmaüs plutôt que de le piquer au Mobilier National, tu comprendras de quoi je parle.
     Votez oui, votez non, rien à foutre de votre choix : votez en votre âme et conscience. Mais votez, foutredieu ! Et pas n'importe comment !
     Et si l'avenir me sourit, si le monde continue sa course, alors les jours de l'argent-roi sont comptés, et la révolution contre le fossoyeur du tiers-monde approche. A l'heure du choix, chacun est libre. Mais tout le monde est concerné.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Tu remarqueras que ceux qui votent oui ne savent pas à qui ils disent oui alors que ceux qui votent non savent pourquoi ils disent non.
Je ne sais pas si tu as lu ce site: http://etienne.chouard.free.fr/Europe/
Je le trouve assez édifiant, et je n'ai personellement vu personne ne dire de voter oui avec autant d'arguments convaincants...