lundi 23 avril 2007

Enterrement de bulletin (urne funéraire ?)

 
       C'est avec une totale absence de surprise et d'entrain que les résultats du premier tour de dimanche se sont affichés sur l'écran de télé des potes chez qui nous avons descendu 2-3 bières en désespérant. Ben oui. Ségo et Sarko, comme dirait Karl Zéro, sont dans un bateau.
J'ai voté pour l'une, j'ai essuyé mes fesses avec le bulletin de l'autre. Pourquoi suis-je déçu ?
       Ce post explique pourquoi.
       D'abord, parce que ce que j'aurais voulu, c'est croire en Bayrou. Mais je crains fort que les deux semaines à venir nous montrent un Bayrou protégeant ses intérêts en ne donnant aucune suggestion de vote (je préfère "suggestion" à "consigne", on n'est pas des veaux quand même). De peur d'un deuxième tour opposant Bayrou à Sarko, voire d'un deuxième tour opposant Le Pen à Sarko (si l'électorat de gauche était trop dispersé et Bayrou trop faiblard), j'ai voté Ségolène. Du bout des doigts.
       Ensuite, parce que j'aurais bien aimé pouvoir voter pour un duo Voynet-Buffet. Parce que :
- quelles que soient les conneries que Voynet a pu faire lorsqu'elle était ministre,
- et que Buffet refuse d'admettre en se réclamant toujours d'un communisme qui n'a pas plus de raison d'être qu'un parti ne l'aurait de s'appeler "Parti Capitaliste Français",
...j'approuve :
- le courage et la profondeur politique de la première qui n'a pas peur d'aller se frotter aux hordes de chasseurs avides de dégommer des palombes et des canettes (même si, je le précise, je refuse de jeter aux ordures la chasse, parce que la réalité est triste, mais il faut contrôler la prolifération de certains animaux sauvages, et c'est à ça que les chasseurs servent), ainsi que son ambition écologique réelle pour notre petit pays,
- et j'approuve le programme de la seconde en terme de société, parce qu'il est bien plus consistant que tout ce qu'un connard de néo-conservateur peut bien pondre en façade tout en chiant dans les assiettes en coulisses.
       Enfin, parce que ça m'emmerde de voir débarquer Ségolène, Jack Lang, François Hollande et toute la clique du PS qui, Séguéla l'a bien dit ce matin et pour une fois je l'approuve, n'ont toujours pas compris qu'ils ne pouvaient espérer gouverner seul le pays. Pourtant, ils font campagne sur le rassemblement, non ?
 
       Légitime question que peut se poser mon lecteur d'un jour : et d'où tu la tires, ta certitude que Sarkozy nous mène au mieux dans le mur, au pire à la révolte ?
       Très simple, mon ami. Vois-tu, j'ai deux lectures en cours actuellement. La première, c'est un bouquin de l'Oncle Bernard de Charlie Hebdo, Mr Bernard Maris, qui est prof d'éco en fac à Paris. Ca s'appelle "Lettre ouverte aux gourous de l'économie qui nous prennent pour des imbéciles", 6 € environ à la keuFNA.
                Un livre très intéressant qui m'apprend, éléments factuels (démontrés de façon irréfutable par des prix Nobel de la discipline) à l'appui :
- que la loi de l'offre et la demande est une connerie qui est basée sur une hypothèse bienheureuse : "la somme de tous les petits déséquilibres de tous les marchés de tout ce qui s'échange donne un grand équilibre global". C'est faux, c'est prouvé ;
- que la concurrence à tout crin, qui est l'épine dorsale de la doctrine libérale et néo-conservatrice, ne profite pas, n'a jamais profité, et ne profitera jamais au plus grand nombre car elle est incapable de produire un équilibre à la fois stable et profitable ;
- qu'il y autant d'espoir de trouver une logique mécanique vertueuse dans les pages éco de n'importe quel canard que dans l'almanach d'Elizabeth Teissier. Il est donc illusoire et stupide de se fier à ceux des économistes qui se parent des atours de la science et arrivent à trouver des cons pour les payer à justifier que demain, il se passe l'inverse de ce qu'ils prévoyaient aujourd'hui.
- enfin, un point crucial : rien n'empêche que, si 30% du marché est dérégulé et 70% encadré et contrôlé par l'Etat, on n'ait pas de meilleures chances d'avoir une situation globalement meilleure que si on dérégule plus et que l'Etat se désengage du commerce et des marchés. En clair, il est prouvé que le fait de tendre vers 100% de concurrence totalement libérée n'a pas plus de chance d'améliorer la situation que de tendre vers l'inverse.
                Edifiant, quand on sait à quel point la droite (dont fait partie Sarkozy, je le rappelle à toutes fins utiles) a historiquement appuyé le libéralisme économique depuis qu'il existe, lequel libéralisme --c'est quand même évident quand on voit Ernest Antoine-Seillière d'un côté et le premier RMIste venu de l'autre-- profite plus aux très riches qu'aux nombreux pauvres car il accentue la différence dans le mauvais sens. Alors que les grands penseurs de l'économie politique que furent Keynes et Marx ont quand même plutôt théorisé dans le sens que prennent les politiques de gauche : l'économie, d'accord, mais po-li-ti-que.
 
       Deuxième lecture en cours, ami lecteur, qui sera bien plus vite finie. Il s'agit du supplément "Ensemble, tout devient Sarkozyble" de Charlie-Hebdo de la semaine passée. A acheter d'urgence, tant qu'il y en a en kiosque. Un document rappelant tous les faits que tout électeur de Sarkozy ferait bien de relire avant de glisser le bulletin portant son nom dans l'urne. C'est un rappel factuel des errements de Sarko, de sa pitoyable gestion de la sécurité, de ses bidonnages de chiffre, de ses provocations/appel du pied aux fachos du FN (qui, comme tous les racistes, sont justes des gens effrayés qui se trompent de colère), de son culte de la personnalité, de sa main-mise sur les principaux groupes privés de media français.
                 Edifiant. Le pedigree de roquet hargneux de ce petit monsieur est effarant. Je ne peux m'empêcher, en l'entendant proférer l'"apaisement" et la "solidarité" dans son discours d'admission au 2ème tour, de me rappeler que :
- Sarkozy a été maire de Neuilly pendant des années
- il a toujours refusé d'appliquer la loi SRU (20% de logements à prix contrôlés, pour permettre aux plus pauvres d'avoir un toit et de pas vivre comme des merdes dans des cités-dortoirs à 80 bornes de leur lieu de travail)
- il a fait des faveurs à un entrepreneur, lequel lui a renvoyé l'ascenseur en prenant en charge des centaines de milliers d'euros de travaux dans son bel appart tout beau tout neuf (prouvé par le "Canard enchaîné", jamais formellement démenti par l'intéressé) ;
- il a dépouillé les banlieues chaudes de leurs flics pour les balancer dans la capitale, en espérant faire baisser les chiffres (ça n'a même pas marché) ;
- il a supprimé la police de proximité, cette "connerie" issue de la gauche plurielle, et constatant comme toujours tardivement qu'il était en train de saborder son propre navire sécuritaire, a inscrit à son programme de campagne "police de quartier". Même pas la honte, le Nicolas ;
- il encourage les keufs à faire du chiffre à grands coups de primes. Du coup, seuls les petits délinquants et les cochons de payeurs que nous sommes sont éreintés par la police. Le grand banditisme et la délinquance en col blanc, c'est long, c'est difficile, du coup ça rapporte moins au planton : on s'en occupe plus. Dommage, ce sont eux qui tirent les ficelles du vrai gros crime organisé...
- il insulte un ministre de son propre gouvernement et menace de lui casser la gueule ;
- en visite de campagne à Meaux, un fief de l'UMP, il vient pour "rencontrer cent jeunes des quartiers difficiles". Arrivé un paquet de temps à la bourre, il est accompagné de plus de 300 agents des forces de l'ordre, soit 3 keufs par jeune. Waoh la rencontre ;
- il a promis de revenir toutes les semaines dans les banlieues chaudes : il n'a jamais tenu cette promesse ;
- il a menacé devant témoins de virer la direction et les journalistes gauchisants de France 3 parce qu'il avait été forcé d'attendre pour être maquillé avant une émission avec Ockrent ;
- l'essentiel de ses déplacements de campagne présidentiels ont été pris en charge par les Français au titre de son ministère. Et les frais qui restent vont être remboursés aussi par les Français. Dépensez sans compter, les gars, on s'en fout c'est avec leur pognon ;
- il a fait voter, avec ses lois sécuritaires, l'inscription au fichier national des délinquants sexuels élargi de tous les gens soupçonnés (c'est-à-dire même pas condamnés par un juge, juste sur décision d'un flicaillon de base, comme ça) d'un quelconque délit, même petit. En gros, tous fichés, tous coupables, flippez dans votre caleçon, les gars, on sait qui vous êtes. Et si vous êtes dans le fichier, c'est que vous avez des choses à vous reprocher, non ? Puisque c'est un fichier de suspects...
- contre la réalité factuelle et avérée, il a accusé les magistrats du Tribunal de Bobigny de ne pas faire leur boulot et d'être laxistes avec les délinquants en terme de peines de prison et de punitions. En même temps, je le vois pas trop voter d'enveloppe budgétaire pour améliorer le suivi psy et la réinsertion des détenus. Et hop, retour à la case départ...
- il a fait fermer le centre de Sangatte. Depuis, les candidats au Royaume-Uni sont toujours là, dans la rue, dans les villes alentour, et régulièrement les flics viennent foutre le feu à leurs tentes et les tabasser (ça sent le Malik Oussékine) pour les décourager. Les journalistes télé, courageux, n'en parlent jamais. Vive la Star Academy, c'est tellement plus intéressant.
 
       Avec tout ça, dans ces pays anglo-saxons qu'il affectionne tant et auquel il voudrait tant faire ressembler la France (ouais, vite, je veux devenir les USA, construire des murs autour de chez moi pour empêcher les immigrants de venir, faire péter ma dette publique, faire tenir mon pays par la peur et la guerre aux étrangers où j'envoie mes minorités crever au combat, et faire exploser mon quota de citoyens au-dessous du seuil de pauvreté), avec toutes ces casseroles, il aurait déjà été crucifié. Par la presse, par le peuple, par ses pairs.
               Mais ici c'est la France, et la France abreuvée de conneries télévisuelles et de servilité cloportoïde des journaleux à 3 euros qui refusent de demander à Sarko, en pleine campagne électorale, ce qu'il en est réellement de son appartement à pas cher et comment il justifie ça, cette France se laisse enculer sans même prendre la peine de dire ouille. Limite, elle sourit, la France, quand elle se fait entuber. J'en ai mal à la démocratie.
 
       Mais moi, je veux pas qu'on crucifie Nicolas Sarkozy. Je veux juste qu'on l'empêche de nuire.
                C'est simple, si simple que même un adorateur de Nicolas Sarkozy peut le comprendre :
Moi, j'ai rien à me reprocher.
Je n'ai tué personne.
Je n'ai violé personne.
Je n'ai volé personne.
Je ne suis ni un terroriste, ni un délinquant, ni un toxicomane, ni un proxénète, ni un nazillon, ni un fasciste.
Je paie mes impôts.
Je paie mes amendes.
Je suis blanc.
Avec tout ça, je devrais être à l'abri de Sa(r)Kolère. Et pourtant il me fait peur.
 
       Parce qu'un type énervé comme ça, qui a un avis sur tout, qui ne revient jamais sur sa décision, qui ne s'excuse jamais, s'il décide un jour que je suis coupable de quelque chose, il trouvera le moyen de fabriquer des preuves contre moi.
                Pour un Sarko, je suis coupable d'avance. Mais je ne sais pas encore de quoi. Et je devrais vivre avec cette peur ? Et ma femme ? Et ma fille, aussi, devraient subir cette peur ?
                Et si moi, qui suis pour l'instant à l'abri, j'en fais dans mon froc à ce point, que doivent ressentir en ce moment les gens un peu "limite" ? Hmmm ? La maman sénégalaise d'une de mes amies, 20 ans passés à bosser en France et à payer ses impôts sans avoir le droit de vote, elle doit pas se sentir rassurée de voir qu'on confie à un menteur mégalomane les clés de son immeuble.
                Et mon copain Ali, qui vit de petits boulots dans le bâtiment parce qu'en France il n'y a pas assez d'ouvriers, et qui n'a pas de papiers, qu'est-ce qu'il en pense ? Lui, il demande que ça, à vivre normalement. Il l'aime ce pays, il aime les gens qui sont là. Mais pour lui, c'est aller-simple en charter dès qu'il croisera les uniformes Sarkophiles.
                Et mes voisins du dessous, qui sont aussi gentils qu'ils sont Noirs, et qui souffrent comme nous d'habiter avec leurs enfants un quartier pourri et totalement dégueulasse car saturé de la misère que Neuilly et consorts refusent de prendre en charge pour la soulager, et qui souffrent plus que nous avec leurs têtes de Noirs dans un monde régi par les blancs des regards fuyants, de la discrimination et du racisme latent. Quelque chose me dit qu'avec ses clins d'oeil au FN, ses allusions eugénistes et ses propos plus minables que ceux d'un Pascal Sevran au meilleur de sa forme, Sarkozy leur colle les foies.
       Tous ces gens ont peur, peur d'une seule chose : que Sarkozy décide en les regardant de travers qu'ils sont coupables. Sarkozy te juge d'avance. Même si tu lui souris.
       Sarkozy, c'est comme le Tony Montana que tous les imbéciles d'idolâtres banlieusards déifient comme un modèle de vie à suivre sans comprendre que ce "héros" fictif a tout fait pour mourir en ne laissant derrière lui que cadavres, souffrance et tâches de sang : avec Sarkozy, un jour tu es son ami, le lendemain il n'est pas content car tu l'as regardé de travers ou tu as avalé ta salive ou tu as mangé de l'ail ou tu n'as pas rabaissé la cuvette des chiottes, et paf t'es mort.
                Sarkozy, c'est clairement pas quelqu'un qui a choisi de se mettre au service du peuple par conviction. C'est quelqu'un qui a choisi de s'appuyer sur le peuple pour être au dessus. Sarkozy ne sert que lui-même. Compassion, rédemption, prévention : connais pas. Petit, brun, droit dans ses bottes, qui n'écoute personne et impose son discours en promettant un avenir meilleur dont lui seul aurait le secret... ça me rappelle mes cours d'Histoire sur l'Allemagne des années 30, cette montée en puissance des populistes façons "je vais te protéger de tes peurs". Sauf que, au top ten de mes peurs, le premier, c'est toi, le petit homme toxique.
       Pour ces raisons, et aussi parce que le Président de la République est aussi le chef des armées et le titulaire du code de l'arme nucléaire en France, je ne veux pas que Sarkozy devienne président.
               C'est plus une question de tout sauf Sarko, ou tout sauf Ségo. Le débat est le même qu'en 2002, à la virgule près. Il s'agit de savoir si on vote pour quelqu'un qui nous agace, ou pour quelqu'un qui nous menace.
               J'ai voté Ségolène, en voulant voter pour d'autres. J'aurais voulu un candidat avec la patate et la franchise de Besancenot, la pondération et l'esprit de conciliation (réel, je l'espère) de Bayrou, avec les pieds sur Terre comme Buffet, avec la conscience de l'urgence écologique de Voynet, avec... euh, rien de Villiers, de Schivardi, de Le Pen, de Nihous, avec l'expérience et la puissance stratégique du PS. C'était un vote par défaut. De nouveau.
               Je crois encore en des lendemains meilleurs, mais il vaudrait plutôt mieux que Bayrou et Ségolène se mettent d'accord pour bosser ensemble. Il vaut mieux un gouvernement à deux têtes de centre-gauche qu'une autocratie de droite ("mes références : De Gaulle et Jean-Paul II" - que les Algériens et les sidéens que cela consterne se manifestent, je crois qu'il faut qu'on les écoute).
-G4rF-

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